
Festival de Venise, une Mostra en mode mineur
ActualitésFestivalsFIDMarseille - Festival International de Cinéma de Marseille
Publié le 1 octobre 2025 par
Le riche alignement de grands noms à la 82e Mostra n’a fait émerger aucun chef-d’oeuvre, malgré quelques retrouvailles touchantes, tandis que son palmarès aura été marqué par la polémique.
L’attribution du Lion d’or à Jim Jarmusch pour Father Mother Sister Brother (sortie le 7 janvier) a provoqué pas mal de réactions outrées dans la presse. La principale raison est la présence en compétition de La Voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania (en salles le 26 novembre), accueilli par des ovations et des larmes. Tiré d’un fait réel connu, le film est consacré aux derniers instants d’une fillette de Gaza enfermée dans un véhicule qui vient d’être mitraillé par l’armée israélienne.
Entourée des cadavres de membres de sa famille, elle appelle la Société du Croissant-Rouge palestinien, qui attendra trois heures avant d’obtenir l’autorisation d’envoyer une ambulance. Tout le film se situe dans les bureaux du Croissant-Rouge, à travers une reconstitution théâtrale, tandis que la petite fille est présente à travers le son des véritables appels enregistrés. Impossible de ne pas être ému, et tout était là pour que la récompense suprême revienne à ce film répondant à l’actualité la plus terrible.
Le problème est que l’on peut aussi être fortement gêné par l’indécence des moyens utilisés, notamment sa manière de mêler la voix réelle de l’enfant avec le jeu plein de larmes des acteurs. N’appuyant que sur le pathos, le film ne dit rien du conflit, mais la conscience des festivaliers était rassurée : entre deux spritz, ils avaient le sentiment d’aider le peuple palestinien par leurs larmes et en exigeant un Lion d’or qui ferait bien sûr trembler Netanyahu. Pourtant, cette docufiction est si dérisoire par rapport à l’ampleur du massacre à Gaza qu’elle trahit surtout l’impuissance du cinéma face aux horreurs du monde. Impuissance dont Jarmusch, à qui on reprocha de n’être qu’un cinéaste indépendant new-yorkais privilégié, dut endosser à lui seul !
Father Mother Sister Brother, quoique mineur, était pourtant le meilleur film d’une compétition très faible. Composé de trois histoires autour de retrouvailles familiales, il appartient à la veine la plus minimale de ses autres films à sketches (Night on Earth, Coffee and Cigarettes). On y sent surtout la maturité d’un cinéaste qui, à la manière d’un Ozu ou du poète de Paterson, sait faire passer beaucoup de mélancolie, mais aussi d’humour, voire de cruauté, dans la banalité, les objets, les petits gestes.
À côté de l’aspect m’as-tu-vu et boursouflé de tant de films indigestes – ceux de Paolo Sorrentino (La grazia, sortie le 28 janvier), Guillermo del Toro (Frankenstein, 9 novembre), Noah Baumbach (Jay Kelly, 5 décembre sur Netflix), Park Chanwook (Aucun autre choix, 11 février) ou Yórgos Lánthimos (Bugonia, 26 novembre) –, la sobriété et le flegme de Jarmusch brassaient plus de cinéma que les agitations de ses collègues. Et malheureusement, The Smashing Machine de Benny Safdie (prix de la Mise en scène) ne releva pas le niveau.
Autre biopic filmé de trop près, Eleonora Duse de Pietro Marcello (sortie le 14 janvier), portrait de la rivale italienne de Sarah Bernhardt, a également déçu. Malgré l’utilisation intéressante d’une musique anachronique, le cinéaste ne retrouve pas l’alchimie de Martin Eden, dans un film à costumes où domine le gros plan, et où le lyrisme repose entre les mains d’une Valeria Bruni Tedeschi qui en fait des caisses.

Guerres froides
On est en droit de se demander pourquoi le jubilatoire Dead Man’s Wire, retour en forme de Gus Van Sant après une longue absence, était présenté hors compétition à la différence de celui de Kathryn Bigelow, A House of Dynamite, remake sans humour de Docteur Folamour, où l’on assiste à un revival du simplisme défensif de la guerre froide.
C’est aussi le sentiment que donne Le Mage du Kremlin d’Olivier Assayas (sortie le 21 janvier), adaptation plate du roman de Giuliano da Empoli. Pas tant pour ce qu’il raconte d’une manière plutôt haletante – vingt ans de l’histoire de la Russie, à travers la montée en puissance de Poutine – que par les moyens désuets qu’il emploie, en particulier le choix d’acteurs américains jouant des Russes.
Cette rétroprojection vers une géopolitique du siècle dernier à partir de la Russie de Poutine trouvait une forme autrement plus ample dans Journal d’un réalisateur d’Alexandre Sokourov (hors compétition), montage d’archives et d’extraits de films de cinq heures d’après les notes accumulées par le cinéaste entre 1961 et 1995, et qui dessinent un portrait frappant de la deuxième moitié du XXe siècle vue depuis l’URSS.
Ce sont d’ailleurs souvent des documentaires qui ont relevé le niveau de cette Mostra, y compris en compétition où Pompei, sotto le nuvole du parfois contestable Gianfranco Rosi (sortie le 19 novembre) fut l’une des belles surprises. Cette exploration d’un Naples vivant au rythme des tremblements de terre et du Vésuve touche par la beauté de son noir et blanc, qui rend compte des textures et vapeurs de la ville, et par la façon dont le cinéaste parvient à faire exister un peuple sans passer par le pittoresque.
De son côté, Werner Herzog, dans le beau Ghost Elephants (hors compétition), allait une fois de plus chercher dans le monde des images inédites : celles d’une espèce d’éléphants gigantesques vivant très loin des hommes.
Du côté de l’Argentine
On a aussi enfin pu voir Nuestra tierra (hors compétition, sortie le 1er avril), que Lucrecia Martel prépare depuis des années autour de l’assassinat de Javier Chocobar et de l’expulsion de sa communauté à Tucumán (Argentine). Le film n’est pas aussi grand que les fictions de la réalisatrice, mais cette modestie est totalement tendue vers son sujet. La province de Tucumán est filmée par de saisissants plans au drone. C’est à cela que l’on reconnaît une grande cinéaste : elle sait inventer des manières nouvelles d’utiliser les outils, même les plus ingrats.
Autre très beau documentaire, d’un cinéaste dont nous n’avions plus de nouvelles depuis quinze ans : Remake de Ross McElwee (hors compétition). Consacré au fils du cinéaste, mort il y a quelques années, le film bouleverse par sa manière mi-distante mi-mélancolique d’évoquer la question du temps à travers un montage d’extraits de journaux filmés.
Dans les sections parallèles, nous avons pu découvrir la dernière production du collectif argentin El Pampero Cine : Pin de fartie d’Alejo Moguillansky (Orizzonti). Nous connaissons en France Mariano Llinás et Laura Citarella, mais il serait temps que l’on découvre aussi Moguillansky, sans doute le plus théoricien (ou du moins le plus godardien) du groupe, comme le prouve ce réjouissant entremêlement de variations autour de Fin de partie de Samuel Beckett.
Deux découvertes
Du côté des découvertes, retenons deux beaux films, qui ont en commun leur sérénité. Inside Amir, troisième long de l’Iranien Amir Azizi (Giornate degli autori), tourné avec très peu de moyens et en quelques jours, suit les déambulations d’un jeune homme s’apprêtant à partir de son pays pour rejoindre sa fiancée. Le film est rythmé par de nombreuses promenades à vélo, où s’exprime la simple liberté de se déplacer en contemplant une ville qu’il faudra bientôt quitter.
Encore des bicyclettes dans Estrany riu (Orizzonti), premier long métrage du Catalan Jaume Claret Muxart, où, pendant les vacances d’été, un adolescent faisant avec sa famille un voyage à vélo le long du Danube est traversé par des visions et émois sensuels. Claret Muxart crée une confusion de plus en plus troublante entre la réalité et les images mentales du jeune homme. Son sens de la lumière, son talent pour filmer les visages, son utilisation subtile des surimpressions marquent incontestablement la naissance d’un cinéaste.
Marcos Uzal
Anciens Numéros



