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ÉCOLOGIE : UN NOUVEL ÂGE DU CINÉMA

MIKE LEIGH : DEUX SOEURS

DAVID CRONENBERG : LES LINCEULS

MARIE DARRIEUSSECQ : GRAND ENTRETIEN

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Actualités, Festival Écrans Mixtes, Festivals

Do it yourselves

FESTIVAL. Du 6 au 13 mars, deux semaines après que le drapeau arc-en-ciel du centre LGBTQIA+ de Lyon a été une nouvelle fois arraché, le festival Écrans mixtes faisait salle comble en transmettant de plus belle la vivacité des imaginaires queer. Avec un jury présidé par la productrice Christine Vachon et une nouvelle section destinée aux films autoproduits ou à petits budgets, cette édition mettait l’accent sur les modalités concrètes de fabrication des cultures queer plus ou moins marginalisées. Le Paris des années 1990 des premiers films d’Anna Margarita Albelo y rimait affectueusement avec celui de Zoé la boxeuse et Pigalle, premiers court et long métrages de Karim Dridi, qui croisaient aux mêmes comptoirs acteurs et actrices professionnels, gangsters à la retraite, travailleuses du sexe, fiction et cinéma-vérité, saisissant le burlesque et le tragique sous les mêmes néons. Tandis qu’Albelo présentait sa « plus petite boîte de production du monde » dans une master class, ces logiques alternatives de production se reflétaient aussi bien dans l’urgence des prises de vues mi-caméra mi-téléphone d’Éviction, documentaire de Mathilde Capone sur le DIY social et immobilier des habitant·e·s d’un lieu de vie communautaire montréalais ciblé par une prochaine « rénoviction », que dans l’importance accrue donnée aux courts et moyens métrages. Plusieurs d’entre eux assumaient un plaisir du (bri-)collage visuel et du mélange des genres, dont le teen movie apocalyptique lesbien My Heart Is going to Explode (Jung Inhyuk) poussait assez loin la réflexivité amusée, appelant surtout la sympathie du public par ses détournements loufoques. Dans la section Panorama, le très beau Cabo Negro (Abdellah Taïa) faisait vivre une autre maison cinéma, la villa marocaine que Soundouss et Jaâfar ouvrent doucement aux quatre vents en attendant l’amant de ce dernier, qui ne vient jamais. En compétition, deux portraits d’artistes exploraient les plasticités du journal reconstitué, via les archives DV de la·e chanteur·euse du groupe postpunk Glue dans The Life of Sean DeLear (Marcus Zizenbacher) et le photomontage parlé des oeuvres de la photographe tchèque Libuše Jarcovjáková dans I Am (Not) Everything I Want to Be (Klára Tasovská). Circé Faure
par Circé Faure
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Actualités, Festivals, La Berlinale

Berlin, à mots couverts

FESTIVAL. Pour apaiser les craintes à la suite du départ de Carlo Chatrian, la première Berlinale dirigée par Tricia Tuttle s’est voulue rassurante quant à son ambition artistique et politique. Mission réussie ? À l’image d’une météo unissant neige et soleil, cette 75ᵉ édition était faite de contrastes. On reconnaîtra le discernement du critique au fait qu’il s’est dispensé de prendre des notes sur un seul des films en compétition vus : le lauréat du prix suprême, Dreams. À partir d’un récit de premier amour fait par une adolescente, le Norvégien Dag Johan Haugerud y travaille l’écart entre le réel et son élaboration littéraire, mais son intelligence ne se départit jamais d’un certain confort esthétique et social, entre session de lecture et de thérapie, boule à thé et pull en laine. Plus que dans le ronronnement de cet Ours d’or, dans des films repliés sur des enjeux familiaux (What Marielle Knows de Frédéric Hambalek, If I Had Legs I’d Kick You de Mary Bronstein, Mother’s Baby de Johanna Moder) ou sortis d’une éprouvette cinématographique (La Tour de glace de Lucille Hadžihalilovic), la liberté et l’ouverture se trouvaient dans les images filmées au portable ou basse définition (tendance floue) de Radu Jude et Hong Sangsoo. Autour de la rencontre du poète Donghwa et de la famille de sa petite amie, le dernier opus de l’inépuisable Coréen scrute les interactions sociales tout en s’inclinant doucement vers une dimension conceptuelle. À commencer par la voiture et la moustache du poète, attributs et attitudes sont sans cesse commentés, tandis qu’un jeu de répétitions, de glissements et de retournements se met en place sous le découpage en huit chapitres. Il y a en effet loin de la première impression à la dernière, et What Does That Nature Say to You, avec son titre en forme de question sans point d’interrogation, s’amuse avec minutie de la variabilité et de la partialité des jugements. Les caractères y sont définis et changeants, la nature à la fois admirée et hostile. Partageant avec Hong Sangsoo un art du plan-séquence (imbibé de whisky plus que de thé), Richard Linklater investit à sa manière le hiatus entre le réel et ses habits de paroles. Adaptant avec Blue Moon une pièce mettant en scène Lorenz Hart (formidable Ethan Hawke) le soir de la première triomphale d’Oklahoma!, composé par son ancien partenaire Richard Rodgers, Linklater donne au métier de parolier un tour existentiel. S’enivrant d’alcool et de paroles incisives, Hartz, déclinant petit homme (la mise en scène joue des contrastes physiques), manie le langage comme l’instrument jouissif d’une inflation imaginaire. Si l’abattage linklaterien contraste avec le tempo hongien aéré, les films trouvent chacun une harmonie complexe : le premier est à la fois plus comique et plus mordant que ses précédents, et Blue Moon aussi savoureux que mélancolique. Traversées présentes et futures El Mensaje, de l’Argentin Iván Fund (Prix du jury), privilégie le silence. Appuyé sur le don télépathique permettant à la jeune Anika de communiquer avec les animaux, la grâce du film tient au parti pris de résorber tout questionnement sur la vérité de ce pouvoir et sur le passé des protagonistes qui en font commerce pour s’en tenir à l’observation de l’itinérance quotidienne du trio formé par Anika, sa mère et son beau-père. Dans un rapport ambivalent à son titre, El Mensaje creuse le lien des individus aux autres (humains et non-humains), alliant recherche de sens et sensibilité aux formes pures (à l’image d’une danse lumineuse d’insectes), profondeur de l’invisible et immanence des corps. The Blue Trail de Gabriel Mascaro (Grand Prix du jury) propose aussi une autre trajectoire mâtinée de fantastique, mais moins épurée. Le regard porté sur la fuite de la septuagénaire Tereza le long de l’Amazone est plus haut en couleur. De lavage en massage, jusqu’à une danse avec une autre aînée et amie, il séduit par son attachement désirant au corps. En situant son action dans un futur dystopique mais pas si lointain où le gouvernement brésilien décide du déplacement des personnes de plus de 75 ans dans des « colonies », il apporte également un élan politique rassérénant. Laissant derrière soi travail et famille, Tereza contraste avec le trentenaire d’Ari de Léonor Serraille dont l’anxiété face à l’état du monde trouve une réponse dans la paternité. Quitte à se pencher sur le désespérant état du monde, autant en rire. Kontinental’25 de Radu Jude (lire Cahiers no 816), mise à jour d’Europe 51, scrute la crise d’une huissière, Orsulya, après le suicide d’un homme exproprié. Contrairement à ce qui se passe chez Rossellini, la conscience de la déshumanisation et d’un nationalisme ambiant échoue ici à transformer le personnage. Dans un enchaînement de rencontres en longs plans fixes, Orsulya se cherche à travers des discussions qui tournent à vide. S’il ne faut pas trop attendre de la fin du monde, c’est que les individus ont définitivement perdu le sens de l’histoire, que le cinéaste laisse pourtant transparaître dans les vues de la ville transylvaine de Cluj qui ponctuent son film, montrant la violente métamorphose urbaine en cours et la coexistence des époques. Kontinental 25 se compose en pot-pourri lucide où se nouent l’immobilier, la politique et la morale. À la veille d’élections allemandes marquées par une avancée de l’extrême droite, le festivalier a pu se tourner vers quelques documentaires des sections parallèles pour mieux appréhender les racines de ce contexte national. Entre archives et présent, le split-screen de Pride & Attitude de Gerd Kroske ausculte ainsi une cicatrice historique : les paroles de femmes de l’ex-RDA employées dans les industries minières et chimiques évoquent le tournant de la réunification, la fierté pionnière et l’imaginaire du progrès collectif heurtés par le chômage et la division. En accompagnant pendant quatre ans les familles des victimes de crimes racistes commis à Hanau en 2020, Das Deutsche Volk de Marcin Wierzchowski confronte le besoin de transmission d’une mémoire et de valeurs (notamment par la construction d’un monument) à la retenue des institutions juridiques et politiques. Soucieuses de ménager les responsables en place et les électeurs, celles-ci s’adaptent au statu quo plutôt que d’assumer de justes décisions. De quoi se rappeler que la politique, affaire de parole, relève aussi de la manière dont on se saisit en actes d’un espace et d’un temps, que ce soit dans un film, un festival, ou dans le réel. Espérons donc que la prochaine Berlinale, selon les mots de Radu Jude, «ne s’ouvre pas sur Le Triomphe de la volonté ». Romain Lefebvre
par Romain Lefebvre
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Actualités, Critique

Sûre mesure

Jeunesse (Les Tourments) de Wang Bing (2024) On n’a peut-être jamais vu la première partie, ou saison (Le Printemps), de Jeunesse. On a peut-être rêvé l’avoir vue, puisqu’ici tout recommence, presque à l’identique. Retour aux ateliers textiles de Zhili, quartier environnant mais invisible, limité aux immeubles dans lesquels, de nouveau, la caméra de Wang Bing circule en vase clos, la moindre embardée dans la rue tenant de l’incursion périlleuse. Avec les lieux, reviennent leurs occupants, jeunes et moins jeunes ouvriers exilés des campagnes occidentales de la Chine : leur nom et leur âge se surimpriment toujours à l’écran, associés à leur village et province d’origine. Après le premier chapitre, qui s’achevait sur le retour d’un couple au pays, ces rappels toponymiques prennent toutefois une autre épaisseur, ils lorgnent vers une image latente, les lointains paysages que les travailleurs regagneront là encore, après un long confinement (plus de trois heures à l’écran, des mois dans la réalité). Puissants décrochages qui prouvent combien la longue durée est tout, chez le cinéaste, sauf une signature ou un « format » visé pour lui-même : ici, le montage des masses temporelles répercute le déphasage intime de l’exil. Les Tourments apparaît en fait comme une séquelle du Printemps, une suite qui dégénère. Leurs structures se ressemblent tout comme se ressemblent les scènes de négociation de salaire, les gestes machinaux des ouvriers, les tissus pliés et repliés (le film s’ouvre sur une histoire d’ourlets), façon toile de Pénélope. Wang ne craint pas la redondance, parce qu’il ne considère pas, chose rare dans le documentaire, que le réel se réduise à un éventail de situations exemplaires. Il esquisse des portraits, traque ce qui varie dans l’invariable, l’accroc, le trou, l’événement. Or dans Les Tourments, les événements les plus graves sont invisibles. On y signale plusieurs disparitions : après le livret de paie d’un garçon désemparé, c’est au tour d’un patron endetté de s’évaporer dans la nature en ayant, au passage, tabassé un fournisseur. L’incident, qui éclate dans la rue, crée une sorte de dépressurisation, il aspire le tournage depuis le dehors : posté auprès des ouvriers, le cinéaste « rate » la scène, puis enregistre son infini après-coup, une cascade de déboires se perdant aux confins des jours et des nuits. À côté des stratég ies de survie (revendre les machines pour se payer un minimum, plutôt qu’espérer un geste de l’État), le film documente alors le temps ahuri de l’abandon, du déboussolage. Le temps du débat moral existe, mais il est bref, le scandale se périmant vite dans un lieu où parler signifie ralentir, freiner la cadence : « Ça cause, mais faut bosser aussi », souffle-t-on en coulisses. Menacent donc l’effritement de la colère, l’accoutumance à la marche des choses. On apprend que les fuites de patrons ne sont pas rares. L’événement s’effiloche, reflue à l’état d’anecdote. La concurrence au sein d’un même atelier étouffe la possibilité d’une grève. C’est le moment que Wang Bing choisit pour créer un contrepoint minuscule et implacable. Au bord de l’inertie, il perce un trou, mais dans le dispositif : alité dans le noir, un homme lui parle directement, un peu comme le faisait Fengming, survivante des camps de travail, dans Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007). Il lui raconte la révolte du quartier en 2011 lors de la mise en place d’une taxe, puis la répression policière, brutale, lancée contre les travailleurs migrants. L’irruption calme, presque rieuse, de ce témoin nocturne est aussi inattendue que les feux d’artifices allumés par un père fêtant le retour de son fils à la campagne : ainsi la « vitalité extraordinaire » des sujets filmés, saluée par le cinéaste dans un carton final, paraît-elle d’autant plus surprenante lorsqu’elle surgit, infime et pétaradante, au détour d’un plan-séquence. Élie Raufaste
par Élie Raufaste
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Pour une culture du débat

Entretien avec Agnès Tricoire Avocate spécialiste en propriété intellectuelle, Agnès Tricoire préside l’Observatoire de la liberté de création, fondé sous l’égide de la Ligue des droits de l’Homme et devenu récemment une association, « lieu de discussion interdisciplinaire et de solidarité entre tous les genres culturels ». Le Manifeste de l’Observatoire de la liberté de création (2003) rappelle que « l’œuvre d’art, qu’elle travaille les mots, les sons ou les images, est toujours de l’ordre de la représentation. Elle impose donc par nature une distanciation qui permet de l’accueillir sans la confondre avec la réalité¹. » En quoi la décision ou non d’accompagner la projection d’un film d’un débat recoupe-t-elle aujourd’hui les questions de droit que l’Observatoire met en avant depuis sa création en 2003 ? Quand j’ai proposé à Michel Tubiana, en 2002, de créer l’Observatoire, sous l’égide la LDH, c’était à une période de résurgence de demandes de la censure. Jusque-là, on connaissait les associations d’extrême droite, comme l’Agrif, qui perdait tous ses recours en condamnation contre les œuvres. Le début des années 2000 marque le retour de la demande de censure plus large, contre l’exposition « Présumés innocents » au CAPC de Bordeaux et deux livres accusés d’apologie de la pédophilie, Il entrerait dans la légende de Louis Skorecki et Rose bonbon de Nicolas Jones-Gorlin. Plus tard, avec les manifestations organisées contre l’exposition/tableau vivant Exhibit B au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, on peut considérer que des organisations défendant pourtant des causes progressistes ont emboîté le pas. À l’Observatoire, nous venons tous de disciplines différentes, et nous avons pris le temps de nous mettre d’accord sur les mots pour rédiger notre manifeste de 2003. À l’époque, la liberté de création n’existait pas en tant que telle. Nous y posons la distinction entre fiction et discours réel, et la nécessité, si une œuvre est contestée ou pose problème, d’organiser un débat avec son public. Qu’en est-il des lois et de la jurisprudence récentes, et de leurs conséquences sur la création ? La jurisprudence s’est inspirée de notre Manifeste pour distinguer entre fiction et réalité, distinction aujourd’hui bien établie. Nous sommes aussi à l’origine de la loi de juillet 2016 qui protège la liberté de création, de diffusion et de programmation. Le Conseil d’État, pendant le Covid, a décidé que ces libertés de création et de diffusion étaient fondamentales. Pour nous, c’est une victoire supplémentaire. Ces libertés relèvent de la liberté d’expression mais avec les spécificités de la fiction, donc avec leurs particularités; et les sénatrices, quand elles ont travaillé à évaluer cette loi, nous ont interrogés, et à cette occasion nous avons produit une note conséquente, que nous publierons sur notre futur site, qui retrace le paysage législatif concernant les œuvres et formule des demandes d’amélioration de la loi, encore trop restrictive. En parallèle, avec l’éditeur Actes Sud, nous contestons un arrêté de Gérard Darmanin qui a interdit un ouvrage destiné aux ados pour « pornographie », ce qui nous a permis de déposer (via l’éditeur et la LDH) à la fois un recours et une question prioritaire de constitutionalité. En effet, la loi de 1949, permettant de surveiller toute la littérature sous l’égide du ministère de l’Intérieur, qui peut prononcer l’interdiction de la vente et/ou de la publicité des livres, n’est pas conforme aux standards de la liberté d’expression tels que posés par l’article 10 de la CEDH et la jurisprudence de la cour de Strasbourg. Sous François Hollande, nous avons dû intervenir en urgence pour contrer un décret catastrophique donnant les clefs de la censure au cinéma à l’extrême droite. L’association Promouvoir, dirigée par un type qui s’était fait virer du FN par Bruno Mégret pour radicalité, fait des recours fréquents contre les visas pour obtenir un durcissement du classement des films qui ne lui conviennent pas, et y parvient depuis le début des années 2000 (Baise-moi et le rétablissement du moins de 18 ans). C’est ainsi qu’a subi cette interdiction, de façon absurde, Quand l’embryon part braconner de Kôji Wakamatsu, au propos progressiste, très beau film sur une femme qui se rebelle contre le joug qu’elle subit. Face à ces mouvements régressifs, la profession du cinéma, vu les importants enjeux d’argent, essaie d’anticiper, ce qui crée de l’autocensure en amont; cela s’accompagne aussi d’une profonde modification de ce qui est diffusé à la télévision, donc d’un appauvrissement culturel sous couvert de protection de l’enfance. C’est pour éviter la censure que vous avez envoyé une lettre le 13 décembre au directeur de la Cinémathèque, Frédéric Bonnaud, lui demandant un débat contradictoire après la projection du Dernier Tango à Paris ? C’était une offre qu’ils auraient dû saisir : nous proposions de coorganiser le débat. J’avais approché Frédéric Bonnaud, sans qu’il ne donne suite, il y a quelques mois. Là, il s’agissait, dans l’urgence, d’une proposition d’animer l’échange en tant qu’Observatoire, ce qui aurait permis aux personnes représentant la Cinémathèque d’être en égalité de terrain avec les gens qui protestaient contre la projection. L’idée est que chacun doit apprendre de l’autre. Les positions de surplomb qui s’abritent derrière des positions purement esthétiques se heurtent à celles qui contestent la programmation des œuvres pour des raisons purement sociétales et ça donne un résultat qui nous semble désastreux et qu’on avait anticipé dans la lettre : ils ont déprogrammé. Parce qu’ils n’ont pas mis la locomotive avant les wagons: diffuser Le Dernier Tango à Paris avec tout ce qu’on sait sur ce qui s’est passé pendant le tournage imposait de faire un débat public permettant enfin qu’un échange ait lieu. Pourquoi proposer vous-mêmes d’organiser ce débat ? Parce que nous avons l’expérience du débat et de ses difficultés, et regrettons que, de façon générale, les institutions culturelles n’en aient pas plus l’habitude. Nous savons qu’il faut être fort depuis Exhibit B, où la préfecture décourageait le Théâtre Gérard-Philipe d’organiser un débat pour des raisons d’ordre public. Devant le théâtre, des gens manifestaient (certains avaient cassé la porte dès le premier soir) et le public se faisait insulter… On a été présents tous les soirs pour faire de la médiation avec le public afin que les gens puissent échanger et parler dans ce contexte de violence, et que ceux qui avaient souhaité aller voir le travail de Brett Bayley puissent exprimer ce qu’ils avaient ressenti, en négatif ou en positif. J’avais fait venir des gens qui étaient pour la censure au départ, notamment deux associations s’occupant de la mémoire de l’esclavage aux Antilles, qui ont tout à fait changé de point de vue après avoir vu le spectacle. C’était d’ailleurs un moment émouvant, qui a été précédé d’un long silence, car la visite avait fait remonter des choses extrêmement douloureuses. Le visiteur qui était le plus remonté a priori m’a demandé à la fin si on ne pouvait pas œuvrer à ce que le tableau vivant soit filmé, pour que tout le monde puisse le voir. Ça nous a appris beaucoup, même si on le sait, au fond: les œuvres sont souvent victimes de préjugés. Il est donc essentiel que le débat ait lieu après la prise de connaissance de l’œuvre. Cette posture privilégiant un échange après avoir vu l’œuvre est-elle contestée dans certains secteurs ? Il y a des intellectuel·l·es militant·e·s qui soutiennent que le public de l’œuvre est aussi celui qui la conteste sans l’avoir vue. La réponse pour nous, c’est que le public d’une œuvre est celui qui l’a vue et qui peut en discuter. Cela pourrait-il aussi s’appliquer au cas du Dernier Tango à Paris ? Ce cas pose une question spécifique, car d’une certaine façon les contestataires de la diffusion de l’œuvre peuvent répondre: on sait déjà ce qu’il y a dedans, on est déjà informé·e·s par les prises de position publiques de Maria Schneider sur ce qu’elle a subi. C’est aussi un débat spécifique car le film ne pose pas seulement problème à cause de son contenu (montrer un viol, que certains considèrent d’ailleurs comme un viol réel alors qu’il reste fictif) mais aussi à cause de la façon dont il a été réalisé et du dommage qui a été fait à son actrice. Pour Exhibit B, aucun comédien ne s’est plaint de ce que des activistes reprochaient à l’œuvre, à savoir que les comédiens auraient été silenciés, car seul leur regard était mis en scène. À la fin de l’installation, il y avait même des textes des comédiens expliquant pourquoi ils avaient voulu participer à cette œuvre. Alors que Maria Schneider, qui n’est plus là pour raconter les choses, a clairement décrit la scène comme un viol symbolique. Un des arguments pour ne pas le montrer, ou le voir, est qu’une violence effective est là, à l’écran. Oui, mais le choix de mots n’est pas anodin. On ne peut pas dire que c’est un viol filmé, car l’actrice n’a jamais dit qu’elle a été violée réellement. Mais elle a évoqué la violence qu’elle a subie dans la scène, et on sait que son consentement n’a pas été recueilli pour le tournage d’une scène de viol. Vous insistez sur l’importance des échanges après avoir vu les œuvres. Dans le cas du cinéma et des séries, il y a aussi une vraie demande d’avertissement: que le spectateur soit prévenu si ce qu’il va voir peut le heurter, une sorte de première contextualisation. Mais comment proposer ces trigger warnings sans que ces informations préalables ne conditionnent le spectateur à accepter ce qu’il va voir, même si ça le heurte, sans le contester ou le mettre en question dans l’échange qui aurait lieu à la fin de la séance ? Des éléments objectifs de contextualisation factuelle peuvent être donnés avant la séance. Je ne vois pas en quoi ça pourrait rendre le spectateur plus docile, au contraire, cela lui permet de prendre de la distance par rapport à ce qu’il va voir. Mais il faut être très vigilant, et éviter de confondre information et positions de jugement. C’est une question extrêmement complexe dont on n’a pas encore vraiment discuté à l’Observatoire : celle de l’information. Si l’information est nécessaire avant Le Dernier Tango à Paris, de façon évidente, il ne faut pas non plus tomber dans le travers de la précaution systématique, et se croire obligé de prévenir les spectateurs qu’il y a des scènes « dérangeantes » dans un film. Les œuvres d’art sont aussi là pour nous déranger. Le fait que la Cinémathèque ait une mission de service public importe-t-il dans la demande que vous lui avez adressée ? Oui, la lettre le stipule. La Cinémathèque est une association qui vit sur des fonds publics et a des missions de service public. On peut légitimement envisager que l’accompagnement des spectateurs est une nécessité, et qu’une prise de parole purement esthétique quand une œuvre pose un problème qui dépasse l’esthétique n’est pas suffisante. Il semble y avoir une difficulté à établir un pont entre analyse esthétique et analyse politique, ce qui rend difficile les échanges entre une cinéphilie pure et dure et des secteurs plus militants. Vous avez raison et notre démarche vis-à-vis de la Cinémathèque l’a prouvé jusqu’à l’absurde. La difficulté vient de postures radicales qui refusent la discussion a priori, l’une purement esthétique de la part des organisateurs, et l’autre militante qui consiste à dire « il n’y a pas de débat à avoir parce qu’il n’y a pas de projection à avoir ». Tout le monde ne partage pas, du côté féministe, cette position. On aurait sans difficultés trouvé des points de vue différents pour un débat passionnant. La Cinémathèque vous a-t-elle répondu ? Pas du tout. Frédéric Bonnaud n’est évidemment pas tenu de nous répondre, mais on peut déplorer ce silence alors que la Cinémathèque elle-même, dès lors qu’elle a décidé de programmer le film sans rien organiser autour, s’était tiré une balle dans le pied. Il était évident que tout cela aboutirait à une déprogrammation, décision que la Cinémathèque a prise pour des raisons que je n’ai pas très bien comprises, d’ailleurs, de sécurité, comme si les féministes étaient de dangereuses agitatrices… Plus généralement, quels critères relatifs à un film font à vos yeux que sa projection exige un débat? Est-ce lié à des réactions extérieures ? Organiser des débats existe déjà, pour un tas de raisons: faire venir l’équipe racontant la genèse, pour des raisons esthétiques ou militantes. Du côté militant, je l’ai souvent constaté, il y a peut-être eu un glissement qui a fait que l’on s’est habitué à organiser des séances sur des documentaires uniquement autour de leur sujet, donc à dissocier le politique de l’esthétique, ce qui est dommage : je suis convaincue que la forme est politique. Aider le public à comprendre l’œuvre et la façon dont elle est faite l’aide aussi à réfléchir la question militante. Parler aussi d’hors-champ, de travellings, dont on sait qu’ils posent des questions éthiques au cinéma, serait plus enrichissant pour tout le monde. Pensez-vous que le mot « censure » a pris aujourd’hui un sens nouveau, ou qu’il est utilisé de manière abusive ? En tant qu’intervenante à l’université depuis plusieurs années, je remarque qu’aujourd’hui la censure est en partie considérée comme souhaitable, alors qu’avant, tous les progressistes étaient d’accord pour lutter contre. Actuellement, quand vous demandez à un panel de gens, y compris ceux qui travaillent dans la culture, quelles raisons légitiment la censure,comme je l’ai souvent fait en cours et en formation continue, ils trouvent tous une « bonne » raison, qu’elle soit féministe, religieuse, politique, historique… Le mot est rejeté par les associations progressistes qui disent: « la censure est l’apanage de l’État, nous, on demande l’annulation. » Mais cette pression pour que l’œuvre ne soit pas montrée, c’est de l’entrave, nouvelle forme de censure. Pour le cinéma, n’importe qui peut voir le film ailleurs, en raison de la reproductibilité technique des copies, ce qui amoindrit la gravité de la demande d’annuler une projection. Cette objection ne marche pas, parce que certes, un tableau est une œuvre unique, mais interrompre ou rendre impossible une séance de cinéma reste de l’entrave à la diffusion. À l’Observatoire, nous sommes d’ailleurs en train de travailler à cette question du délit d’entrave et de ses conditions avec les sénatrices qui sont à l’origine de la loi de 2016. Cette loi que l’Observatoire a contribué à forger est très importante car elle protège la liberté de création et de diffusion des œuvres ; elle a introduit le délit d’entrave dans le code pénal. Les atteintes aux œuvres se sont démultipliées, du simple courrier d’une association à un programmateur public dépendant d’un maire qui fait obstacle, ou encore au vandalisme. Au cinéma, c’est dur de vandaliser les copies, mais en art contemporain, c’est presque un sport. Un des reproches faits à la Cinémathèque serait qu’en projetant Le Dernier Tango elle lui accorde une « place d’honneur ». Il faut relire les statuts de la Cinémathèque : elle est censée acquérir tous les films qui marquent l’histoire du cinéma, or les critères, c’est une question toujours discutable. Est-ce que la Cinémathèque revendique de diffuser les films mauvais ou mineurs? Elle joue elle-même le jeu de l’institutionnalisation, dans la manière dont elle présente sa programmation. Mais de façon plus générale, ce n’est pas parce que l’on montre qu’on approuve ou que l’on honore. Cette distinction est essentielle, on devrait y revenir, et montrer des films aussi pour leur aspect problématique, y compris esthétique. Cette question de la place d’honneur s’est posée pour la rétrospective Roman Polanski. La différence est que Polanski est vivant et était invité en personne. Mais je suis gênée par cet argument de l’honneur: certes, tout le monde a envie d’avoir une rétrospective à la Cinémathèque, mais cela ne suffit pas à disqualifier la projection. Pensez-vous qu’il importe encore de faire la distinction entre l’œuvre et l’auteur, distinction désormais souvent moquée pour pointer la mauvaise foi des partisans d’une « politique des auteurs » légitimant des abus ? Pour répondre à cette question, je me permets de citer ce que j’avais écrit dans les pages du Monde: « Prétendre que le même corps filme et viole, c’est l’argument déjà utilisé par certaines féministes contre le J’accuse de Polanski, pour en demander la déprogrammation. Or, il ne vaudrait que si l’œuvre montrait le crime dont l’auteur est accusé, et alors en effet sa diffusion serait très discutable. En dehors de cette hypothèse, chacun doit pouvoir juger s’il est opportun, pour soi, de voir les films des auteurs mis en cause. Enfin, les déviances de certains ne doivent certainement pas abolir de façon générale la distinction entre l’auteur et l’œuvre, nécessaire pour lutter contre la censure ou l’entrave à la diffusion des œuvres.² » ¹ «Manifeste de l’Observatoire de la liberté de création» (28/02/2003) disponible sur le site de la Ligue des droits de l’Homme, ldh-France.org. ² Tribune parue dans Le Monde (30/03/2024) et reproduite sur le site de la LDH, ldh-France.org. Entretien réalisé par Fernando Ganzo, Charlotte Garson et Marcos Uzal par téléphone, le 14 janvier
par La rédaction
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Actualités, Critique

De mal en pigeon

Aimer perdre de Harpo Guit, Lenny Guit (2025) « Comment soigner » sont les mots qu’inscrit Armande, l’anti-héroïne d’Aimer perdre, dans la barre de recherche. Vif d’esprit, Google suggère la suite. Comment soigner quoi ? Une angine ? Un panaris ? Non : un pigeon. Celui qu’elle a recueilli alors qu’il stagnait au milieu de la route, placide, dépressif. Les noms de petits bobos s’affichant à l’écran éclairent tout de même l’allégorie : qui veut sauver autrui se retrouve surtout devant ses propres plaies, ses propres tares. Et l’oiseau de personnifier un double évident de la protagoniste – si évident que son nom complet est Armande Pigeon. Harpo et Lenny Guit n’ont pas peur d’être littéraux, leur cinéma étant branché à un cerveau comico-épileptique qui se moque bien, à raison, de jouer au fin psychologue. Pas plus qu’ils n’ont peur de tirer sur des ficelles usées par d’autres – tels que les frères Safdie, influence revendiquée dont semble provenir l’ossature du récit. Combinarde bruxelloise vivant aux dépens des autres, parieuse fauchée et malchanceuse (logique), Armande croise le pigeon mais aussi Ronnie, sémillant échalas qui agit sur elle comme un portebonheur; formant un duo gagnant, ces flambeurs discount se jettent dans une frénétique virée nocturne entre casino et caniveau. Le pigeon convalescent comme métaphore du care que la joueuse néglige pour elle-même, en revanche, évoque moins les Safdie que Showing Up de Kelly Reichardt, où Michelle Williams soignait un colombidé. Influence bien plus lointaine, certes, mais Aimer perdre prolifère autour du même doute que suscite la lose au féminin chez Reichardt : de la baby-sitter pour animaux et de la société qui la regarde s’embourber dans ses problèmes, qui est le boulet ? Ce doute hante l’odyssée chancelante d’Armande, jalonnée d’enjeux prosaïques – lorsqu’on survit en comptant sur le hasard, le trivial est capital : un sandwich au camembert barboté dans un frigo se change en graal. Qu’il s’agisse de Catherine Ringer (logeuse maternelle au verbe haut), de Melvil Poupaud (noctambule cupide et crasseux comme pourrait en jouer Bouli Lanners) ou d’inconnus glanés dans le Bruxelles souterrain, les regards posés sur Armande sont duels. Tous trahissent un légitime agacement envers la tornade humaine qui joue de mauvais tours à son entourage ; en même temps, ils représentent l’austère jugement du destin qui s’abat injustement sur elle. Dès lors, le moteur qu’est la galère, déjà à l’œuvre dans Fils de plouc et réaffirmé ici comme système burlesque et motif obsessionnel (« C’est quoi, cette galère ? » est la première réplique), acquiert une dimension politique : la galérienne bouscule, salit, profite – mais la société en face fait pareil, comme ses ex et soupirants toujours prêts à monnayer en nature leurs dépannages. La galère façon Guit ne suscite aucun apitoiement, mais une solidarité passant par une mise en scène accordée au défaut magnifique d’Armande : son énergie sourde et aveugle. Comme elle, Aimer perdre ne tient en place (modèle pour un cours de nu, elle est réprimandée car elle parle et frétille), tourne comiquement en rond (tels les aéromodélistes au nez en l’air, dont elle voudrait tirer profit), n’écoute rien des mises en garde (une comédie d’action aussi pauvre que l’héroïne : risqué, mais les auteurs tentent leur chance eux aussi) afin de mieux foncer bille en tête par-delà les conventions, avec le même regard de taureau que l’actrice Maria Cavalier-Bazan, révélation électrique dont la grâce hypernerveuse tranche finalement avec l’oiseau apathique du début. Avec ses lorgnades foudroyant autrui par en dessous, Maria/Armande se rend aimable et haïssable, gagnante et perdante, arnaqueuse arnaquée, si bien qu’elle brouille le regard : allez savoir qui est la vraie, le vrai pigeon(ne) de cette histoire. Yal Sadat
par Yal Sadat

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ActualitésEditos
Pas de quoi être fierspar Marcos Uzal
Parmi les polémiques qui ont récemment entaché la campagne d’Emilia Pérez pour les Oscars, celle qui concerne sa représentation du Mexique est particulièrement intéressante. L’inconséquence politique du geste d’Audiard est d’autant moins à prendre à la légère que la réaction au Mexique ne se manifeste pas que dans quelques éditoriaux ou critiques ; elle a provoqué la colère jusque dans des salles de cinéma. Pour résumer ce qui est reproché au cinéaste, citons Artemisa Belmonte, dont la mère et trois oncles ont disparu en 2011 à cause de la narco-violence, et qui est à l’origine d’une pétition contre le film : « Les acteurs chantent et dansent sur la violence et la corruption dans notre pays, sur la cruauté des trafiquants de drogue, et même sur la façon dont ils se débarrassent des corps de leurs victimes. » On pourrait lui répondre que ça n’est qu’un film, et que la narco-violence n’est pas le sujet d’Audiard, ce que fait Michel Guerrin dans un éditorial publié dans Le Monde le 7 février : « On fait un sale procès à Jacques Audiard, tant Emilia Pérez ne dit rien du Mexique, de la même façon que la série Emily in Paris ne dit rien de la capitale. » Sauf que 30 000 morts et 100 000 disparus par an ce n’est pas tout à fait le même sujet que les stéréotypes sur Paris ou la proverbiale mauvaise humeur de ses habitants. Guerrin oublie un autre élément essentiel, c’est que le Mexique n’est pas du tout la France en termes de représentation : il y a dix mille autres images de Paris que celle d’Emily in Paris chaque année sur les écrans, mais bien peu du Mexique. Cette domination par l’image – où les stéréotypes redoublent l’invisibilité – participe bien sûr d’autres dominations, notamment celle des États-Unis dont le président est extrêmement hostile au Mexique, qu’il réduit précisément à sa violence. Le risque, pourrait-on nous opposer, serait de n’attendre du cinéma qu’une représentation réaliste et documentée. Mais ce n’est pas l’imaginaire en soi qui est remis en cause dans ces critiques du film d’Audiard. On sait combien l’opératique ou l’exotisme ont été des éléments essentiels de l’histoire du cinéma à l’heure de filmer des contrées lointaines. Mais nous ne sommes plus en 1930, où l’on pouvait encore rêver à des territoires éloignés, parfois vierges de cinéma, dont remontaient des images pétries de fantasmes coloniaux. Et surtout, le vrai exotisme était formaliste : il se nourrissait d’esthétiques et d’imaginaires étrangers, dans une réinvention qui n’était pas juste une appropriation, mais qui relevait d’une vraie connaissance et d’une fascination (Gauguin ou Sternberg, par exemple). Un cinéaste est encore travaillé par cette question : Miguel Gomes, dans Tabou et Grand Tour, en particulier. Il est l’antithèse d’Audiard, parce que l’exotisme est pour lui une sorte de moteur poétique qu’il va mettre à l’épreuve dans le voyage. Il sait que ce n’est pas en allant au Mozambique ou en Birmanie qu’il cessera d’y être étranger, mais il assume ce jeu entre la rêverie romanesque de l’ailleurs et la réalité des lieux. C’est toute la différence entre le cliché, qui s’accapare, réduit et aveugle, et une forme de déterritorialisation de l’imaginaire, qui fraye des voies inconnues, ne demande qu’à se perdre. Dans sa défense d’Audiard, Guerrin pousse sa démonstration jusqu’à accuser les Mexicains offensés par Emilia Pérez de patriotisme : « Ce procès [en appropriation culturelle] se double désormais d’une dimension identitaire, voire nationaliste. » Pénible raccourci où la colère d’une population n’est pas perçue dans son sens politique, pourtant précisément exprimé, mais à travers un procès d’intention qui retourne l’offense en douteuse agression. À propos de patriotisme, on pourrait mettre en face de ce prétendu nationalisme tous les articles et messages de professionnels de la profession ou d’hommes politiques exprimant la fierté pour la France qu’Emilia Pérez soit nominé à tant d’Oscars. Ce cocorico pour quelques statuettes n’est-il pas quelque peu indécent face à l’état de la culture dans notre pays ? La gloire à Hollywood d’un seul film, quoi qu’on en pense, ne pèse absolument rien face au scandale des coupes budgétaires catastrophiques récentes (100 millions d’euros en décembre) ou de celles qui s’annoncent, et les nombreux emplois, lieux culturels et festivals qui s’en trouvent menacés. Vraiment pas de quoi être fiers.
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