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27 mai 2025 à 10:00

Festival de Cannes, ouverture : Face aux Français

Face aux Français Deux salles, deux ambiances, une même France. Plateau de TF1 : le président, jupitérien autoproclamé, donne sa vision des enjeux (inter)nationaux qui attendent la nation, dans une émission spéciale intitulée « Emmanuel Macron – Les défis de la France ». Cannes, Grand Théâtre Lumière : le festival s’ouvre en brandissant lui aussi les grands défis planétaires, regardés depuis une mère patrie qui se rêve au centre du jeu. Les J.O. de Paris sont passés par là, et on devine une envie de croire dans les puissances du show à la française. Même lorsqu’il s’agit d’aborder les sujets délicats ? Surtout dans ce cas-là. Moustachu comme jamais, Laurent Lafitte donne le ton. Entre The Artist et une sorte de Tom Selleck cocorico, il s’acquitte du rappel de rigueur sans trainer : en ces lieux lustrés, Mesdames-Messieurs, on reste conscient du monde. S’avance Juliette Binoche, présidente non jupiterienne, papesse du cinéma bien-de-chez-nous mais engagé – voile blanc de mater dolorosa, lyrisme débridé, inventaire à la Prévert des injustices d’ici et de là-bas. Difficile de ne pas évoquer la photojournaliste Fatma Hassouna, tuée par un missile israélien à Gaza et sujet du documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi (Acid). Puisqu’elle était presque muette, on s’attendait à ce que la grande famille du cinéma local saisisse l’occasion de se donner une (éphémère ?) voix d’actrice sur ce sujet-là. Même limonade politico-glamour que chaque année ? Oui et non. Ici transpire non seulement l’intention de prouver que le cinéma peut quelque chose (vielle rengaine), mais aussi cette conviction en vogue que la France peut exercer un soft power culturel à même de sauver le monde, de réenchanter les âmes meurtries comme l’a fait Hollywood. Ils avaient Lynch, on a Mylène Farmer : la Franco-Canadienne met son timbre au service d’un hommage au génie indirectement englouti par les feux dantesques de Los Angeles. Prélude à un autre effort de réenchantement littéral, moins rivé sur les lointaines terres dévastées que sur le cœur du pays lui-même : celui du film d’ouverture Partir un jour d’Amélie Bonnin. Devenus adultes, les ados français du XXᵉ siècle tardif continuent, après L’Amour ouf, de faire le bilan au son de leurs tubes favoris. Occasion de reconnecter affectivement et socialement : rentrée dans son village après l’infarctus de son père, une gagnante de Top Chef (Juliette Armanet, douceâtre et anxieuse comme la France) goûte au clivage Paris-Province. Il est vite transcendé par des numéros musicaux underplayed – de Dalida à K. Maro en passant par les 2Be3 –, chantés par les personnages sans danser ou bien en s’interrompant au milieu, comme si l’on se souvenait brutalement qu’on n’était pas à Hollywood. Où l’on voit que le sujet très C à vous du transfuge de classe en plein come-back est devenu une manne, ou un vernis sociologique voué à justifier un projet de mélodrame somme toute inoffensif. C’est d’ailleurs lorsque le sirop nostalgique s’assume comme tel (sans se chercher un objet politique bidon) que Partir un jour se montre décent, presque aussi aimable que la popote du restoroute tenu par les parents de l’héroïne (symbole du retour à la terre après les cimes parisiennes). Mais dans cette mission-prétexte que se donnent les mélos populaires aujourd’hui –  retrouver une patrie sympa quitte à l’inventer, bricoler un récit national et musical pour créer un liant entre classes et régions  –, il y a quelque chose d’aussi forcé qu’un discours de Macron. De l’état de la France et de sa cuisine, on n’apprendra rien ici, mais on retiendra au moins que c’est dans les vieux pots qu’on chante la meilleure soupe. Un autre geste de la cérémonie trahit inconsciemment le désir français de se mettre en scène comme peuple uni : la mise à l’honneur de l’Amérique, qui a su s’illustrer en la matière – et qui vole le show. Tarantino surgit comme un diable à ressort pour sonner le début des festivités façon Monsieur Loyal, et pour donner un grand coup de pied dans les mises en scène guindées du début, montrant qu’il reste le showman cannois de 1994 – avec lui, pas de réel social : « vive le cinéma », c’est tout. De Niro et sa palme d’honneur remise par DiCaprio arrivent au contraire à l’heure, en phase avec la sidération d’une part de leur peuple. Dignes, aussi soudés qu’un Trump et un JD Vance qui seraient tombés du côté clair de la Force, les deux acteurs choisissent les mots justes pour convoquer l’actualité. De Niro défend Cannes comme « marché d’idées », tandis que la Maison-Blanche « autocratique » et ses droits de douane asphyxiant l’art sont « des menaces contre la démocratie » auxquelles réagir « de façon non-violente mais organisée ». À l’écoute de cette petite musique si pragmatique, professionnelle, concrète, on se dit qu’en effet, en matière de soft power, ces gens-là ont fait du beau travail. La France a du chemin à faire. Keep up the good work. Yal Sadat   À lire également : Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi | Fiche film Partir un jour de Amélie Bonnin | Fiche film L’Amour ouf de Gilles Lellouche | Fiche film
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Cannes : IA pas photo

Cannes : IA pas photo C’est un éléphant dans la pièce qui bouscule la raison d’être du cinéma, voire agite la menace de son remplacement. On l’appelle « l’Entité » dans Mission: Impossible – The Final Reckoning, programmé au début des festivités : il s’agit bien sûr de l’intelligence artificielle. Elle a rôdé comme un spectre d’un bout à l’autre du festival, s’invitant dans les films et les débats institutionnels accueillis un peu partout sur la Croisette. The Final Reckoning l’érige en déesse destructrice à même de faire la pluie, le beau temps et surtout l’hiver nucléaire – n’eût été l’intervention pétaradante de Tom « Ethan Hunt » Cruise. Alors que s’amorce la dernière ligne droite de l’édition 2025, un autre objet présenté hors-compétition boucle la boucle en convoquant à son tour l’IA – de façon moins directe, et plus franco-française : La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch, avec entre autres Suzanne Lindon et Vincent Macaigne. On a les Ethan Hunt qu’on mérite. Quel est cet avenir qui vient ? Celui de la France, rien de moins. Klapisch le médite poétiquement, pâquerette à l’oreille, en plongeant paradoxalement dans le passé artistique du pays. Un groupe de lointains cousins issus de milieux variés hérite d’une vieille maison normande : occasion de se replonger dans la vie de sa propriétaire originelle, Adèle Vermillard (Suzanne Lindon), une aïeule campagnarde montée dans le Paris artistique de 1895. Là encore, après Partir un jour et le calamiteux Connemara (adaptation de Nicolas Mathieu par Alex Lutz), la France recolle les morceaux éparpillés de son identité. Mais il s’agit aussi de l’avenir du cinéma, et des techniques qui viennent le bouleverser. Au centre du récit se trouve un cinéaste en herbe englué dans des commandes peu gratifiantes, au point de se demander si le médium possède bien un avenir. La biographie de son ascendante lui tend un miroir : la jeune femme découvre la photographie dans une ère où nombre de jeunes gens modernes prédisent la mort de la peinture. Un jeune peintre joué par Paul Kircher se voit raillé par son ami photographe (Vassili Schneider), qui lui répète que son art « ne sert plus à rien ». Mais puisque l’on est en 1895, c’est bientôt le cinématographe qui vient arbitrer leurs chamailleries, en permettant des spectacles plus révolutionnaires encore. Voilà le tout-numérique convoqué en creux, tandis que le film adopte une position digne d’un congrès de la tech organisé par l’Élysée : n’ayez crainte, chers artistes, les outils du futur avancent main dans la main avec le patrimoine ; face à l’algorithme, le cinéma demeurera. Mieux : l’un et l’autre cohabiteront, tels le pinceau et la photo. Orchestrant cette fable où défilent les figures du patrimoine culturel français, Klapisch se pose en réconciliateur des âges et des images. Il y a pire que cette conception mièvre de la technique : son pendant pessimiste et ringard. Entre Mission: Impossible et La Venue de l’avenir, le sujet s’est invité dans Dalloway de Yann Gozlan (Séances de Minuit). Gozlan regarde le problème avec les lunettes de l’algo-anxiété : une romancière (Cécile de France) tente d’écrire son prochain livre au sein d’une résidence artistique où l’assiste un chatbot vocal au timbre familier (Mylène Farmer). Découvrant que l’ordinateur la surveille pour mieux lui dérober son talent, elle entame un bras de fer sournois contre l’IA, cette fausse amie. Dystopie, vraiment ? Les enjeux semblent familiers et même déjà datés, si bien que cette collection de clichés censés rendre compte de l’incertitude ambiante se condamne à la péremption immédiate. Dalloway, ou les dérives de Chat GPT expliquées à nos grands-mères mortes. Là où certaines œuvres non-cannoises pensent l’IA au point d’en faire une matière filmique (cf. le travail d’Ismaël Joffroy Chandoutis ou encore Who Said Death is Beautiful? de Ryo Nakajima, présenté au dernier festival d’Annecy), le cinéma visible ici galope à la remorque de la technologie. Malgré la nature cartoonesque de son scénario, peut-être est-ce encore Mission: Impossible qui pose le mieux le problème. Certes, le numérique avale l’humanité, mais le spectacle tient ici à une promesse : c’est bien le corps de Tom Cruise, et non un avatar généré par une machine, qui se cramponne pour de vrai aux fuselages des avions afin d’aller court-circuiter l’apocalypse annoncée. Et si le meilleur moyen de cohabiter avec l’IA n’était pas de chercher à voir plus loin qu’elle, mais de revenir à des fondamentaux cinématographiques vieux comme Buster Keaton ? Yal Sadat À lire également :  Mission : Impossible – The Final Reckoning de Christopher McQuarrie | Fiche film La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch | Fiche film Dalloway de Yann Gozlan | Fiche film
par Yal Sadat
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Oui de Nadav Lapid

Maudit oui-oui Convulsif, fiévreux, impactant, le dernier film de Nadav Lapid – sur un couple d’artistes Israéliens pris dans la tourmente propagandiste de l’après 7 octobre – fait disjoncter le sens commun, en commençant par repenser un duo de mots fondamentaux : le oui et le non. Y. et Yasmine – pianiste-performeur clownesque et danseuse sexy – se disent oui, à tout. Oui pour s’aimer, baiser, fêter, voire se vendre à des riches, à des corrompus, pour survivre, pour la puissance, pour le jeu. Mais que signifie dire oui à la vie, dans toutes ses intensités et ses promesses, au sein d’un État qui exerce une violence extrême ? Une partition claire, qu’énonce le film : le non résiste, le oui est soumis, le oui est un collabo. Le désir de bonheur et de jouissance se cogne alors aux rappels incessants de la brutalité. Le montage intempestif, au son notamment, est heurté de bips numériques qui annoncent de nouveaux massacres à Gaza, de rumeurs de bombardements, de dialogues à la Gertrude Stein scandant en plusieurs langues le trauma du dernier pogrom, d’accords stridents ou de basses assourdissantes faites pour recouvrir un quotidien devenu insupportable. Et pourtant ce film dit oui, un oui tonitruant. À quoi ? Au désir de faire du cinéma, même impossible, même monstre. Alors Lapid convoque les forces vives de genres hétérogènes. Le prisme tourne entre le film d’amour épileptique, version Sailor et Lula à Tel-Aviv ; la fiction politique décadente (tel un Pacifiction sous cocaïne), le cartoon brutal, la comédie musicale désespérée, le cirque fellinien, et l’ombre de Tobe Hooper plane sur des décors de piscine à balles. Les curseurs sont poussés au maximum, dans un geyser de couleurs, une explosion de textures sonores, un vortex de mouvements de caméra et d’effets spéciaux. On oscille entre la secousse organique, l’éveil des sens, et l’étourdissement. Ce mouvement contraire épouse celui des protagonistes en crise (on salue au passage l’extraordinaire présence du performeur Ariel Bronz et de l’actrice Efrat Dor) : à la fois affranchis et serviles, performatifs et passifs. Ses images malades restituent aussi une vérité médiatique, à la hauteur du grotesque sordide qui irrigue les réseaux sociaux (à l’exemple de la récente vidéo générée par IA « Trump Gaza Number One »). Plus discrètement, une inquiétude poétique (tenue de film en film depuis Synonymes) traverse la bande quant à la valeur des mots et la justesse des désignations. Et parfois, une décélération plus tendre, un appel à rêver, laissent croire à la possibilité d’un oui non souillé. Élodie Tamayo À lire également :  Yes de Nadav Lapid | Fiche film Sélection de la Quinzaine des Cinéastes 2025 Tableau des étoiles de la Quinzaine des cinéastes 2025
par Élodie Tamayo
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Actualités, Critique, En compétition 2025, Festival de Cannes 2025

Sentimental Value de Joachim Trier

Trier la maison La « valeur sentimentale » du film de Joachim Trier est celle que deux sœurs accordent à leur maison familiale dont l’héroïne Nora (Renate Riesve, primée à Cannes en 2021 pour Julie en 12 chapitres) avait fait la narratrice d’une rédaction marquante dans sa scolarité. Très vite, l’idée d’un dispositif à la Here de Robert Zemeckis (raconter l’histoire des habitants successifs d’une maison) est escamotée au profit de la prolifération d’autres scènes : celle du théâtre où Nora fait carrière avec un succès menacé par de soudaines crises d’angoisse, et celle à venir du plateau de cinéma où le père des deux femmes, cinéaste, propose à Nora de participer au film qui relancerait enfin son activité artistique de septuagénaire ringardisé. Sa demande, au moment de la mort de sa femme divorcée, déstabilise la fratrie : désormais seul propriétaire de la maison, il semble aussi s’approprier l’histoire familiale, alors qu’il a déserté le foyer quand ses filles étaient enfants. À l’opposé de Dogma95 qui, il y a trente ans, déboulonnait les pères avec moult secousses, la manière « trierienne » consiste à décrire la tristesse insidieuse des conflits déminés, fluidifiés en larme à l’œil insistante, des pétages de plomb convertis en fond dépressif. Trier est tchéchoviste : un stakhanoviste de la douceur. Mais la « valeur sentimentale » se pose en général pour le cinéma du Norvégien désormais abonné de la compétition : mettre en scène des personnages émus suffit-il à émouvoir ? Négligeant les ponts possibles avec les pièces que joue Nora et les recherches archivistiques de sa sœur, Trier mise tout sur l’humeur (les ballades pop-folk insistantes qui ouvrent et ferment le film). Trier accumule les échanges en champ-contrechamp entre sœurs et entre chacune d’elles et le père, fouillant les traits des acteurs, sûr que la psychologie possède une « valeur » à la fois existentielle et esthétique. On le sent convaincu de trouver encore dans le visage, unité originelle du cinéma, la transcendance athée qui manque. « Prier n’est pas s’adresser à Dieu, c’est exprimer son désespoir » : répétée au cours du film, cette phrase est à entendre en remplaçant « prier » par « tourner ». Mais la séquence du film finalement réalisé par le père vient souligner que ce volontarisme des émotions tient de la méthode Coué. La scène a la même texture que le reste de l’étoffe fictive : sentimentale mais dérythmée, offerte au seul salut de la sincérité des intentions. Charlotte Garson À lire également :  Valeur sentimentale de Joachim Trier | Fiche film Sélection de la Compétition officielle 2025 Tableau des étoiles de la Compétition officielle 2025
par Charlotte Garson
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L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho

L’espion qui venait du chaud Il y avait de quoi craindre la promesse « cinéma de genre » de L’Agent secret, tant Bacurau (2019) réduisait les codes narratifs du western et du film d’action à un manichéisme strictement discursif. Mais Kleber Mendonça Filho fait ici le contraire : se déroulant dans les années 1970, L’Agent secret suit un universitaire menacé par la dictature pour des raisons d’abord sombres et prend du polar ce qu’il a de plus éclaté, incohérent, déviant, se permettant les fausses pistes, excursions fantastiques et autres détours cauchemardesques. L’idée est simple, mais difficile à exécuter : un pays comme le Brésil, a fortiori en temps de dictature, est impossible à raconter. Et la beauté du film tient à sa façon de confondre les fausses pistes et les éléments clés pour la compréhension. Pas dans le sens où on ne saurait pas les distinguer, mais où les uns ne pourraient pas exister sans les autres, à l’image de cette séquence d’ouverture où le protagoniste (Wagner Moura) vit une rencontre tendue avec la police dans une station de service devant la présence d’un cadavre posé là comme un résidu en décomposition, scène sans conséquence dans le récit mais qui le hante autant que le destin du héros. Si le festival de Cannes n’est surtout pas la maison du spectateur attentif, les salles abondant en corps fatigués et en yeux basculant inévitablement dans la sieste, il y avait dans cette séance une forme de joie à s’abandonner, à laisser emporter sa conscience dans la complexité où les personnages eux-mêmes naviguent, entre faux noms, rencontres tordues avec la justice et le pouvoir, rassemblements de persécutés, labyrinthes bureaucratiques et fusillades. Si le cœur de la trame se déroule en plein carnaval dans l’état du Pernambouc, ce n’est pas par recherche d’exotisme ou volonté d’ajouter de la confusion à la confusion : la fin du film ôte petit à petit son déguisement, le montage dévoilant de façon de plus en plus visible un présent qui montre sa tête par la porte du récit et qui regarde ce passé sans le comprendre. Revoici Moura déguisé en docteur, fils du protagoniste, incapable lui-même d’en dire plus sur des événements dont il ne saurait tirer le fil dans un pays changeant constamment d’habits le corps meurtri de son histoire. Fernando Ganzo À lire également :  L’agent secret de Kleber Mendonça Filho | Fiche film Sélection de la Compétition officielle 2025 Tableau des étoiles de la Compétition officielle 2025
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Un métier comme les autrespar Marcos Uzal
Le rapport de la Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode de la publicité, présidée par Sandrine Rousseau et dont le rapporteur est Erwan Balanant, a été présenté le 9 avril dernier. Lisible sur le site de l’Assemblée nationale, ce travail très fourni, fruit de 118 heures d’échanges avec 350 professionnels des secteurs concernés, constitue un document historique, pour de bonnes et de mauvaises raisons. On y trouve en effet les contradictions de la Commission elle-même : une volonté politique nécessaire mais qui semble parfois plus soumise au spectacle de la communication qu’à une rigueur méthodologique, un lieu de parole ouverte mais une partialité dans la réplique qui vire régulièrement au procès. Si le cas par cas des auditions est souvent contestable dans la façon d’y mener les débats (lorsque le jugement l’emporte sur l’écoute), on ne peut cependant qu’être d’accord avec le résumé des objectifs et constats où sont relevées des « défaillances systémiques » dont les principales causes sont « le statut précaire de la plupart des professionnels de ces secteurs », des « hiérarchies marquées », une « confusion permanente entre vie personnelle et vie professionnelle » et un « silence entretenu par la peur d’être blacklisté ». Les professions de ces secteurs doivent-elles être considérées comme des métiers comme les autres et se soumettre aux mêmes précautions, devoirs et lois ? Il me semblerait nocif qu’une commission d’enquête parlementaire réponde autrement qu’affirmativement. Il s’agit ici d’abus dans des domaines où les rapports de pouvoir n’ont pas été assez pensés, notamment en termes de droit du travail. Cela rappelle le débat sur la convention collective du cinéma en 2014, dans laquelle une majorité de producteurs et de cinéastes craignaient qu’une réglementation rigide des salaires et des horaires nuise à une pratique libre de la création cinématographique. Une minorité défendait au contraire l’idée que « les droits des créateurs ne sont pas opposables au droit du travail ». Alain Guiraudie écrivait alors dans une lettre ouverte à la SRF : « Je trouve très prétentieux de penser que parce qu’on fait de l’art (ou parce qu’on croit en faire) on devrait faire passer sa condition “d’artiste” avant tout. » C’est aussi ce que nous inspire la liste des recommandations proposées par la Commission, incontestables dans leur manière de remettre en cause le système hiérarchique qui favorise les VHSS et entretient le silence des victimes : ces règles ne sont pas là pour intervenir dans la création mais pour garantir une égalité de droits et de protection dans le cadre d’un travail collectif. Le seul métier qui n’est pas vraiment traité comme tel dans le dossier soumis à la presse le 9 avril est finalement celui de critique, dont la responsabilité est placée dans l’ordre du symbolique. Selon la seule phrase qui leur est consacrée, « les critiques sont des prêtres qui rendent un culte aux dieux ». Quiconque s’intéresse un tant soit peu à la critique, à son histoire, à sa pratique, à son statut intellectuel et social, comprendra combien cette affirmation signée Geneviève Sellier relève de la caricature. Que la commission la mette en exergue est d’autant plus triste que dans son résumé aucun autre métier du cinéma n’est ainsi réduit à une généralité insultante. Aucune phrase ne commence par « les réalisateurs sont… », « les acteurs sont… », « les directeurs de casting sont… », puisqu’il est question de pratiques et de conditions de travail concrètes, et heureusement pas de stigmatiser des professions. Le critique n’est pourtant pas un être symbolique, il produit, souvent dans des conditions précaires, des textes qui ne ressemblent que très rarement à des louanges ébahies ou à des prières illuminées (pour cela, voyez plutôt les hommages dont se gargarisent la télévision, les César et autres remises de médailles). Jusqu’ici, on avait plutôt tendance à nous reprocher le contraire, une prétendue méchanceté ! Mais puisque l’on nous traite de prêtres, alors soyons le curé de campagne de Bernanos : « C’est une des plus incompréhensibles disgrâces de l’homme, qu’il doive confier ce qu’il a de plus précieux à quelque chose d’aussi instable, d’aussi plastique, hélas, que le mot. » Marcos Uzal
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