Cahiers du cinéma 823

OUI

NADAV LAPID FACE À LA DESTRUCTION

ANGÉLICA LIDDELL : BEAUTÉ CONVULSIVE

LES FILMS DE LA RENTRÉE

PIERRE RICHARD : GRAND ENTRETIEN

Actualités

Voir tout
Mordets melodi de Bodil Ipsen (Mélodie meurtrière, 1944). © SVENSKA FILMINSTITUTET
Actualités, Festivals, Il cinema ritrovato

Cercle polar nordique

RÉTROSPECTIVE. L’un des points forts de cette édition d’Il cinema ritrovato aura été une sélection de polars scandinaves d’après-guerre. Il était temps de se demander si le tropisme nordique du polar dans la littérature et les séries actuelles puisait à une source cinématographique, celle où baignait la rétrospective Norden Noir, concoctée grâce à une collaboration entre les cinémathèques danoise, suédoise et norvégienne. Les invités de ces pays ont richement accompagné à Bologne ce programme de sept films autour d’une question de fond : qu’est-ce qui fait leur singularité par rapport au film noir américain ? Si l’on pense beaucoup à certains classiques hollywoodiens, même dans leur façon de dialoguer avec ceux-ci, les films présentés semblaient particulièrement singuliers. C’est le cas de I dimma dold du Suédois Lars-Eric Kjellgren (Dans le brouillard, 1953) qui s’assume à tel point en commentaire au Laura de Preminger que le détective chargé de l’enquête parle du film de Preminger à la jeune femme accusée du meurtre de son mari. Ce sont les déambulations de celle-ci fuyant la police dans la première partie du film qui rendent I dimma dold bien plus fascinant que le vulgaire Cluedo qu’il devient dans un second temps : dans ses errances sous le regard des passants pointe un désespoir glacé, magistralement filmé par le chef opérateur de Bergman de l’époque, Gunnar Fischer, la vie intérieure de l’héroïne étant bien plus construite ici qu’un véritable suspense de whodunit. Là où, côté américain, une lecture sociale semble toujours s’imposer en sous-texte, ici ce sont strictement les émotions qui priment, tantôt lumineuses, tantôt sinistres. Un autre exemple : le début du danois To minutter for sent de Torben Anton Svendsen (Deux minutes trop tard, 1952) peut faire penser au célèbre plan- séquence du Démon des armes de Joseph H. Lewis, mais ici la caméra portée dans la voiture, au lieu de filmer un cambriolage, saisit une rencontre hasardeuse entre un homme et sa belle-sœur qui déclenchera ensuite une scène de jalousie. Ou, de façon plus profonde, Dødener et kjæertegn de la Norvégienne Edith Carlmar, (La mort est une caresse, 1949), récit à femme fatale dont l’idylle avec un garagiste est sur- tout mis en danger par la banalité. Si le cœur tragique du film fait penser à Assurance sur la mort, c’est plus pour son amour fou que pour des manigances criminelles. La figure de la femme seule errante marquait déjà le pion- nier danois Mordets melodi de Bodil Ipsen (Mélodie meurtrière, 1944, l’un des deux films du programme réalisés par une femme), mais dans une ambiance de cabaret et de pathos qui fait émerger les pulsions de partout, avec une double hypothèse folle : le tueur ou la tueuse est-il une femme sous hypnose ou un homme ventriloque qui imite sa voix ? Le film le plus tardif du cycle, Pa slaget atte, du Norvégien Nils R. Müller (Huit heures précises, 1957) pousse à l’extrême ce versant rocambolesque, avec une intrigue qui amène tous les personnages à agir comme des criminels. Loin de rendre ce cinéma plus superficiel, l’absence d’en- jeux politiques évidents fait émerger un puissant fond mélodramatique. Ainsi l’inoubliable John og Irene (Absjørn Andersen et Anker Sørensen, 1949), où un duo de danseurs voit son amour sombrer dans la rage (et le crime) à la suite d’un manque de contrats pour leur spectacle, ou encore La Fille aux jacinthes du Suédois Hasse Ekman (1950), où le suicide d’une jeune femme devient sujet à enquête pour ses voisins, respectivement romancier et correctrice, détectives du dimanche retraçant les péripéties sentimentales de la défunte, véritable matière du film noir à la scandinave. Fernando Ganzo
par Fernando Ganzo
Avalanche de Mikio Naruse (1937).
Actualités, Festivals, Il cinema ritrovato

Il cinema ritrovato : lumières distantes

FESTIVAL. Du 21 au 29 juin dernier se tenait la 39ᵉ édition du festival Il cinema ritrovato à Bologne, occasion de plonger à nouveaux frais dans la mémoire infiniment ramifiée du cinéma. À Bologne, fuyant la chaleur de plomb de la ville sous arcades, le festivalier pénètre dans les salles obscures comme dans une taupinière où chaque film, des antiques raretés aux fraîches couleurs des restaurations, tire son propre tunnel. Émotion, par exemple, à se replacer dans les pas de débutants : des multiples incunables des premiers temps au début de Von Sternberg, The Salvation Hunters (1925), qui fait le grand écart entre abstraction (cartons sentencieux) et théâtre de matières, cernant la fragilité des destinées humaines au milieu des éléments brassés par d’immenses machines portuaires. Ou l’étonnant Aysel, batakli damin kizi de Muhsin Ertugrul (1935), premier film turc parlant adapté de la première femme prix Nobel de Littérature (Selma Lagerlöf), mélodrame féministe plein de trouvailles visuelles, observant dans des paysages campagnards noyés de soleil une jeune sainte engrossée par son patron se défendre vaillamment au tribunal, se faire ostraciser puis épouser avec l’aide de sa rivale. Côté restauration, on retrouve en Vistavision 6K les shoots de couleur d’Artistes et modèles de Frank Tashlin (1955), avec son couple ambigu de garçons idéalistes (Jerry Lewis et Dean Martin) dégrossi par deux filles tapageuses (Shirley MacLaine et Dorothy Malone) qui décape, en des touches si pop et délirantes qu’elles tournent acides, le portrait d’une Amérique fifties déjà trop irréelle. Autre style chez Lewis Milestone, dont l’auteur de ces lignes, peu amateur de films de guerre qui constituent l’essentiel de sa filmographie, a découvert le délicieux The Garden of Eden (1928, muet), astucieuse comédie lubitschienne (fausses transparences et joyeux masques, jeux de mains et de lumières) sur une chanteuse ingénue et maline débutant dans la vie galante ; et recommande le bizarre Poney rouge (1949 ; adapté de Steinbeck), dont le démarrage boy-scout à la gloire de la vie au ranch (un gamin roux au père faiblard s’éprend de Robert Mitchum, puis monte un poney) vire en chemin de croix animalier, pour s’achever sur deux sidérants moments d’horreur naturelle. Autres lieux, autres mœurs : les premiers parlants de Mikio Naruse étonnent par leur rythme soutenu et leur inventivité graphique en regard du silencieux retrait, à la langueur inquiète, des grands mélodrames posté- rieurs. Très scénarisés, volontiers bavards, ils posent des conflits familiaux où l’émancipation sincère des jeunes bute sur l’autel des valeurs traditionnelles, généralement magouillées. À l’instar du déroutant Avalanche (1937) abusant de flash-back, ou de l’inquiétude doucereuse d’Une fille dont on parle (1935), lointainement adapté de La Cerisaie de Tchékhov, les films procèdent par encerclements successifs, renvoyant après maints détours à une situation inextricable, à l’amertume ou à la mort. Les femmes sont les premières victimes de la veulerie des privilèges masculins, et Naruse leur accorde la place de la conscience sacrifiée. Comme dans Ma femme, sois comme une rose (1935) où Kimiko, pétillante jeune fille en chapeau melon, va chercher son père ayant abandonné le domicile familial pour une geisha, afin de le faire figurer à son mariage et de consoler sa mère délaissée. À la campagne, le rythme vif de la symphonie urbaine s’assagit devant l’horizon paisible des paysages. Kimiko découvre un dérisoire chercheur d’or détaché des réalités paupérisées de son nouveau ménage, tandis que la geisha, mère de deux enfants, se saigne pour envoyer de l’argent à sa première famille. Face à Kimiko, chef d’orchestre désillusionnée de ces êtres aux tempos dissonants, le specta- teur bolognais, éloigné dans le temps et l’espace, vibre aussi de sa propre discordance. Pierre Eugène
par Pierre Eugene
SOUTH PARK STUDIOS/COMEDY CENTRAL/PARAMOUNT +
Actualités, Critique

South Park (Saison 27) de Trey Parker et Matt Stone

Après deux ans d’absence, le monde de South Park s’est ranimé avec virulence cet été. La saison 27 s’est ouverte sur un épisode au démarrage inégalé de 6 millions de vues, où un Trump idiot et despotique – que Satan même trouve toxique – balade son micropénis. L’épisode opte littéralement pour de l’humour au-dessous de la ceinture, mais ce « simple appareil » cache un appareillage pertinent. La blague anatomique constitue un moyen direct pour attaquer ce chantre viriliste, en prenant pour ainsi dire le mal à la racine. La Maison-Blanche, touchée à vif, s’est défendue en assénant qu’« aucune série de quatrième ordre ne peut compromettre la série de succès du président Trump ». Or c’est déjà prêter un certain pouvoir à l’émission que de se prémunir ainsi de ses potentiels effets. S’en prendre symboliquement au corps présidentiel, c’est aussi tenter d’ébranler l’incarnation de son autorité. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que ses détracteurs pratiquent la mise à nu de son effigie. Des statues de mousse géantes – molles, difformes et n’épargnant rien de sa physionomie – avaient éructé lors des précédentes campagnes présidentielles avec des messages du type « corrompu et obscène » ou « L’Empereur n’a pas de couilles ». C’est que Trump fabrique une incarnation retorse de son pouvoir. La fusion de son corps politique (sacré) avec son corps biologique (familier) combine l’imposant jusqu’au pesant, le prosaïque jusqu’à l’obscène et l’artifice (par chirurgie, prothèse et teint mandarine). Le recours à l’IA en délire sur son réseau Truth Social gonfle cette baudruche numérique qui paraît d’au- tant plus invulnérable à mesure qu’elle devient plus chimérique. Les régimes d’images choisis par Trey Parker et Matt Stone s’accordent à ce tournant : si les saisons précédentes grimaient le référent sous les traits du maître d’école M. Garrison, celle-ci anime une photo de la face présidentielle puis génère une vraie-fausse vidéo de propagande en IA où le président rampe nu comme un ver dans le désert. Le second épisode épingle encore le carnaval morbide du pouvoir en prenant pour motif le masque esthétique et médiatique de l’entourage présidentiel (et ses dites « Mar-a-Lago faces », retouchées au point de sembler clonées). Les satiristes le savent, concurrencer Trump sur le terrain du grotesque reste une gageure difficile, tant sa propre machinerie devance et digère la caricature. South Park joue donc à s’avouer vaincu : si Jésus revient, il travaille à la solde du gouvernement ; les anges mêmes ne sont plus à l’abri de la police migratoire ; Cartman est détrôné par les influenceurs masculinistes et xénophobes ; et Paramount (qui produit et héberge la saison) apparaît muselé par la présidence. Les retards qui impactent déjà la diffusion de cette saison indiquent les difficultés qui attendent ses créateurs. Pour l’instant, seuls deux épisodes sont visibles sur les dix prévus. Espérons que leur méthode (six jours de travail par épisode, le septième pour le repos), qui singe la temporalité biblique, continuera à produire longtemps cette contre-genèse absurde de l’actualité. Élodie Tamayo SOUTH PARK (SAISON 27)  États-Unis, 2025 Réalisation Trey Parker Scénario Trey Parker, Matt Stone Production South Park Studios, Comedy Central Diffusion Paramount + Durée 10 épisodes de 22 minutes
par Élodie Tamayo
Crónica de un comité de Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda (2014).
Actualités, Festivals, FIDMarseille - Festival International de Cinéma de Marseille

Adriazola et Sepúlveda : gens magnétiques

PORTRAIT. Montrée dans sa quasi-intégralité pour la première fois en Europe pendant le FIDMarseille, l’œuvre du duo chilien Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda sidère par sa lucidité crue et son sens agité de l’engagement. «Pour quelle raison la caméra bouge-t-elle autant ? » À cette première question du public pendant le débat de Crónica de un comité (2014), José Luis Sepúlveda répond avec une placidité espiègle : « La caméra bouge, parce qu’elle devait bouger. » De fait, quoi de plus juste que de réguliers remous de l’image pour raconter les contradictions d’un mouvement social ? Dans ce film, José Luis Sepúlveda et Carolina Adriazola accompagnent les actions d’un groupe politique formé pour rendre justice à un adolescent chilien impunément assassiné par un carabinier. Filmé avec des petites caméras à la fois par les réalisateurs et certains protagonistes, Crónica de un comité multiplie littéralement les points de vue. « Nous voulions déstabiliser le contrôle du tournage par une caméra qui se partage », confie Adriazola. Une caméra légère pour braver le fardeau de la société néolibérale chilienne : cet élan est manifeste dès El pejesapo (2007), premier long métrage réalisé par Sepúlveda et produit par Adriazola. D’un champ de caillasse à un cabaret itinérant, Daniel y traîne sa carcasse. Ce quarantenaire lumpen au ton ruizien oscille entre profond désespoir et sursauts de libido. El pejesapo a été réalisé « sans un peso » et avec différentes caméras MiniDV à disposition et des cassettes réutilisées. Faire des films en tension avec l’image préexistante de leurs protagonistes : telle est l’une des gageures du cinéma d’Adriazola et Sepúlveda, qui prônent « la chair réelle, et donc sale, des images ». Dans Crónica de un comité, le frère du défunt se réjouit d’apparaître dans une émission de télévision à forte audience. Il est conscient de transformer partiellement la quête de justice en auto- promotion médiatique. Dans Mitómana (2009), l’actrice Nora Díaz mène le jeu. D’une rue à l’autre, elle impose ses interprétations excessives, défiant les nerfs de ses interlocuteurs et la mobilité des réalisateurs. Dans Il Siciliano (2017), « El Padrino » se donne en spectacle dans sa vaste demeure, également négoce de perruques. Dans Cuadro negro (Grand Prix du Festival Punto de Vista 2025, Cahiers nº 820), Adriazola et Sepúlveda poussent cette inquiétude un cran plus loin. L’actrice Sofía Paloma Gómez s’introduit dans le Cadre noir chilien, prétendant y réaliser un film d’art. Avec entêtement, Sofía cherche à reproduire, en mouvement et au présent, l’iconographie militaire prétendument glorieuse. La fabrication en direct de ces images suscite une passionnante dissection du fascisme décomplexé auquel contribue l’armée. Également musiciens, membres du groupe Resistencia Magnética, Adriazola et Sepúlveda s’illustrent par leur sens de l’improvisation. « Nous cherchons à prendre de la distance avec les mélodies traditionnelles et à chercher la liberté dans les structures, comme si on sculptait », confient-ils. C’est la forme de leurs films que l’on croit entendre ici : tout en spirales mélodiques et en échos, préférant susciter des respirations pour ceux qu’ils filment que de s’accrocher à des principes de causalité. Si le duo est volontiers aimanté par ses personnages, ce n’est pas parce qu’il se laisse vampiriser : les cinéastes avancent ensemble en déboussolant leur sens de la gravité. Claire Allouche
par Claire Allouche
Carta a mis padres muertos de Ignacio Agüero (2025).
Actualités, Festivals, FIDMarseille - Festival International de Cinéma de Marseille

Au FID, l’heure des survivances

FESTIVAL. Portée par l’irrévérente vitalité des films de Radu Jude et du duo José Luis Sepúlveda-Carolina Adriazola, la 36ᵉ édition du FIDMarseille, du 8 au 13 juillet, a multiplié les chemins de traverse pour faire face aux détresses de notre temps. Se confronter à des archives dans un éclairant état de crise : tel était le défi lancé par certains des films les plus intrigants de cette édition du FIDMarseille. Dans le court 09/05/1982, Camilo Restrepo et Jorge Caballero titillent notre perception critique avec un montage de prétendues archives d’une Amérique latine rongée par la violence. Ces images sont en réalité le produit de l’intelligence artificielle. Le piège invite à réactiver notre discernement et à déceler la part de contemporanéité qui s’immisce dans toute opération d’exhumation. Katasumbika de Petna Ndaliko Katondolo fait de ce problème une affaire de matière. Des archives coloniales de la République démocratique du Congo sont mises à l’épreuve de l’extractivisme actuel. Elles commencent par être simultanément projetées sur un télé- phone portable et un morceau de coltan, minerai nécessaire à sa fabrication, avant de réapparaître sur des tamis de riz secoués par des femmes. Les pixels glissent alors sur le grain, et la souveraineté alimentaire chasse les spectres de l’oppression. Ignacio Agüero, hanté par la pensée qu’il étudiait le cinéma « tandis que le pays se remplissait de morts » sous Pinochet, signe avec Carta a mis padres muertos une somme bouleversante. Le Chilien sonde ce que ne disent pas de la grève ouvrière les petits films qu’il a hérités de son père, entrepreneur. Face au manque d’images, il suscite des témoignages inédits, qu’il mêle à des plans de ses films précédents. Cette fois-ci, les apparitions de sa famille ne relèvent pas de la chaleureuse évidence mais de la survivance : à l’époque dont ils ont réchappé, aux films amateurs d’où ils sont ressuscités. Suivant l’aphorisme bressonien des « deux morts et trois naissances » inhérentes à l’existence de tout film, Morte e Vida Madalena de Guto Parente (Prix d’aide à la distribution Ciné+/GNCR) fait gagner les pulsions de vie. Le onzième long métrage du cinéaste brésilien célèbre la persévérance loufoque avec laquelle une productrice et son équipe queer accouchent d’un film de genre fauché. Fugue du réalisateur, débordements d’un acteur, tapage du voisinage : tenir ensemble face au désastre est le maître mot de l’aventure. Le déséquilibre permanent y est investi comme principe d’harmonie collective. Deux premiers longs métrages se distinguaient quant à eux par l’acuité à cadrer un monde à l’écart des vivants : Conference of the Birds d’Amin Motallebzadeh et Fantaisie d’Isabel Pagliai (Prix du Premier film). Le premier s’attache à une équipe de foot en plein deuil de son entraîneur historique. La fragmentation de la mise en scène montre qu’une fois privés du sifflet fédérateur du défunt, les footballeurs voient leur corps leur échapper. Ils deviennent de tristes machines à performer, tournant à vide. Dans Fantaisie, la farouche Louise entonne chanson sur chanson, seule dans son coin. Isabel Pagliai, également cheffe opératrice, sculpte patiemment le visage de sa jeune protago- niste avec des faisceaux de lumière naturelle, tout en respectant l’obscurité qui lui sied. Claire Allouche
par Claire Allouche

Offres d’abonnement

Les évènements à venir

Agenda Cinéphile
Couverture Cahiers du cinéma 823
N°823, septembre 2025
6,90 € - J'achète ce numéro
Editos
Sans filetpar Marcos Uzal
On ne comprend toujours pas pourquoi un film aussi impressionnant, stimulant, actuel que Oui ne se soit pas retrouvé en compétition à Cannes, alors que l’on sait qu’il en a été question pendant un temps, avant qu’il ne soit repêché tardivement par la Quinzaine des cinéastes. Difficile de ne pas penser que les raisons sont politiques, au moins par frilosité, peur des remous. Quoi qu’il en soit, ce fut à mon sens, au moins d’un simple point de vue cinématographique, une erreur de la part d’un festival aussi important. Car, qu’on l’aime ou non, voici un film qui place très haut les ambitions et possibilités du cinéma. Il se trouve par ailleurs que, s’il a de quoi rendre mal à l’aise, il n’est en rien inconséquent, irresponsable, bêtement provocateur d’un point de vue politique, les réactions hostiles qu’il a pu susciter jusqu’à présent en Israël relevant d’ailleurs surtout du procès d’intention, et souvent de la part de responsables politiques qui ne l’ont pas vu. Pendant que Oui nous enthousiasmait à l’autre bout de la Croisette, la Palme d’or est revenue à Un simple accident de Jafar Panahi, en salles le 1er octobre, qui me semble en être l’antithèse : un cinéma politique proprement dosé, procurant un petit frisson culpabilisant sans vraiment déranger. Là où Lapid se confronte violemment à une réalité concrète et brûlante, Panahi choisit la parabole ouverte, une fable universelle qui nous en dit finalement bien peu sur l’Iran actuel – Aucun ours, son précédent opus, était autrement plus singulier et pertinent. J’évoque dans mon compte-rendu du festival Nouvelles Vagues de Biarritz (p. 60) un premier film iranien, The Crowd de Sahand Kabiri, qui, tout en partant lui aussi d’un « simple accident » révélateur, me paraît en montrer bien plus sur l’état de ce pays que le film de son aîné, ne serait-ce qu’en s’intéressant à une jeunesse iranienne rebelle assez peu filmée (précisons au passage qu’à ma connaissance, ce film n’a toujours pas de distributeur en France). Un autre film en compétition à Cannes, et qui sort ce mois-ci, a fait fureur là-bas : Sirât d’Oliver Laxe. Même s’il est très différent du film de Panahi, j’y vois une comparable manière de rester vague en jouant avec des question graves (la guerre, le terrorisme) au nom de l’ouverture allégorique, de la suggestion métaphorique. Même le désert marocain où a été tourné le film est maintenu dans une abstraction où des mines antipersonnel font office de truc de prestidigitateur, alors que l’on sait combien cette région du monde reste un lieu conflictuel. Le désert de Oui, entre Tel-Aviv et Gaza, est quant à lui chargé d’histoire, gorgé de sang, tremblant sous un feu bien réel et traversé avec effroi. Il en va de même pour les corps des personnages : ceux de Laxe restent soumis à leur dimension métaphorique, et ils sont même sacrifiés au nom de cela, alors qu’au contraire ceux de Lapid désamorcent par leur présence même tous les possibles discours théoriques, symboliques ou politiques auxquels on pourrait les réduire. On en revient à l’inusable précepte de Godard : « Ne pas faire des films politiques, mais faire politiquement des films. » Dans Un simple accident et Sirât, la dimension politique ou pseudo-spirituelle (le gloubiboulga new age de Laxe sur le dépassement de soi) est contenue dans le scénario, comme intention, programme, et ce calcul préalable inclut de ne pas relier tous les points pour laisser au spectateur de quoi y projeter ce qu’il veut, voire de planer (le côté « hypnotique » qui semble fasciner les admirateurs de Sirât, dont certains critiques de notre rédaction). Dans Oui, la dimension politique n’est qu’affaire de filmage et de dépense physique – à chaque plan on sent que tout s’est joué au tournage, sans filet.
Lire plus
6,90 € - J'achète ce numéro

Anciens Numéros

    © Cahiers du Cinéma

    La librairie des Cahiers

    Découvrir