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Romain Lefebvre anime le séminaire « Histoires d’émancipation » dans le cadre des 37e États généraux du Documentaire | 18 et 19 août à la Salle des fêtes, Lussas
Romain Lefebvre anime le séminaire « Histoires d’émancipation » dans le cadre des 37e États généraux du Documentaire | 18 et 19 août à la Salle des fêtes, Lussas
Événement
Publié le 18 août 2025 par La rédaction

8 décembre 2025 à 14:00
De tant d’insouciance – une nouvelle tendance du cinéma français
Grand thème littéraire français, le voyage de la capitale vers la province (ou l’inverse) serait-il devenu un tube nostalgique constamment réinterprété ? De Klapisch à Lutz, point d’étape sur ce Tour de France version Nicolas Mathieu qu’aura été l’année 2025.
Amassés sur le pont d’un vapeur, des voyageurs lèvent le nez. La célèbre silhouette d’un monument grossissant à l’horizon annonce leur entrée dans la plus grande cité du pays. Les mines sont ébahies : sous l’auguste structure, la terre ferme grouille de promesses. Prologue de The Brutalist de Brady Corbet, avec sa statue de la Liberté offerte aux yeux mortifiés d’Adrian Brody ? Pas vraiment : la scène est extraite de La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch. Adèle (Suzanne Lindon), oie blanche montant à Paris depuis sa Normandie natale à l’orée du xxe siècle, s’émerveille de voir la tour Eiffel depuis le bateau qui la transporte le long de la Seine. D’un sommet l’autre, elle s’apprête à vivre une ascension sociale jusqu’en haut de la butte Montmartre, aux côtés de peintres et de photographes bohèmes. Deux hommages s’emboîtent ici : d’un côté, La Venue de l’avenir se pâme devant le patrimoine culturel français, d’autant que son intrigue tourne autour de l’héritage (au propre comme au figuré) légué par Adèle et ses amis artistes à une poignée de descendants dont on suit l’évolution en parallèle – ils sont censés dessiner le portrait kaléidoscopique de la France contemporaine. De l’autre, la scène regarde vers Hollywood et la sidération des immigrants d’America, America ou du Parrain 2, parvenus aux portes d’un éden plus ou moins trompeur.
Que raconte un tel enchâssement ? Que le cinéma français, ces temps-ci, habite son pays en traquant à tout prix son récit fondateur. Et qu’il furète en quête de signes prouvant l’existence d’un imaginaire romantique commun, quitte à emprunter des chemins balisés par le cinéma américain – un comble.
La Venue de l’avenir de Cédric Klapisch (2025).
Le transfuge, ce copain d’avant
Si Adèle débarque dans la capitale, à l’assaut d’un prétendu French dream situé dans les beaux-arts, d’autres personnages font le trajet inverse. Ceux-là pullulent comme autant de variations autour d’une figure chérie de la fiction littéraire et cinématographique française des années 2020, le transfuge de classe. Il s’agit alors de retours au bercail de Paris vers la province. Mais les films concernés finissent par chercher la même chose que La Venue de l’avenir, un ressourcement, un point d’ancrage dans une France sans qualités (ni urbaine, ni banlieusarde, ni tout à fait agraire), en vue de poser la question : qu’est-ce qui nous fait tenir debout en tant que peuple ? S’ils évitent les réponses identitaires, tous brandissent l’art (la peinture donc, mais aussi et surtout la musique) afin d’exalter quelque chose comme un liant national oublié, dont le lyrisme serait la clef ; cette exaltation-là s’exprime en s’écartant du naturalisme, et en usant d’artifices aussi nettement assumés que franchement lénifiants. « Pourquoi filme-t-on essentiellement le peuple à travers le naturalisme ? », demandait Marcos Uzal dans nos pages, déplorant que « les personnages issus des milieux populaires aient si peu droit au romanesque, à l’imaginaire, au désir » (Cahiers no 784).
Les auteurs aventurés au-delà du périphérique auraient-ils entendu cet appel ? Loin de là. S’ils rompent avec la méthode Dardenne (ou Brizé), leur antinaturalisme fige les rapports sociaux dans des schémas pas moins sclérosants, et se déploie presque toujours selon le point de vue du personnage embourgeoisé, ou qui détient le pouvoir. Cadre en burn-out, Mélanie Thierry regagne les Vosges et renoue avec Bastien Bouillon autour d’un tube de Michel Sardou dans Connemara, adaptation de Nicolas Mathieu qui en talonne une autre (Leurs enfants après eux). Bouillon y incarne l’ex-Ryan Gosling du lycée, resté encroûté dans une carrière plan-plan mais aussi dans les souvenirs fantasmatiques de l’héroïne.
Non loin de là, après avoir remporté une saison de Top Chef, Juliette Armanet retrouve la ville de son enfance – et le même Bastien Bouillon, toujours dans l’habit d’un Gosling francisé, garagiste de son état – dans Partir un jour, comédie musicale célébrant autant les standards de la variété francophone que de la gastronomie « tradi ». De quoi rappeler le carton En fanfare (2024) : chef d’orchestre parisien, Benjamin Lavernhe contactait son frère biologique dans le Nord afin d’obtenir de lui un don de moelle osseuse. En retour, le virtuose de la grand-ville mettait son génie au service de l’harmonie municipale dont faisait partie le modeste employé de cantine.
Quant à Léa Drucker, elle enquête sur des violences policières en tant qu’inspectrice de l’IGPN dans Dossier 137 (exception de ce corpus, car sa mise en scène n’a rien de lyrique) et se trouve une attache avec la victime Gilet jaune : elle vient de la même commune, Saint-
Dizier – où Partir un jour s’est d’ailleurs partiellement tourné. Un peu plus au nord, Un homme en fuite voyait Bouillon rentrer dans les Ardennes (cette fois dans le rôle du transfuge devenu écrivain), avant de descendre vers le Jura tout récemment pour L’Incroyable Femme des neiges (un autre retour au pays sur fond de crise climatique, moins stéréotypé). Le Grand Est, carrefour de toutes les réconciliations depuis l’avènement de son saint patron Nicolas Mathieu ? Il faut sans doute poser la question au guichet de financement de la région, mais c’est une autre histoire.
Connemara d’Alex Lutz (2025).
Paye ta fracture
Comédies « popu » et fables grand public caressent de longue date le rêve de réparer un pays fracturé. C’est une vieille affaire française, et elle passe souvent par la convocation plus ou moins ironique d’une « France éternelle », où bourgeois et prolos s’affrontent grossièrement. Personne n’a oublié Amélie Poulain et son Disneyland montmartrois, ni Bienvenue chez les Ch’tis, Intouchables et la déferlante de Christian Clavier-movies initiée par le raz-de-marée Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?.
Mais la plus récente marotte consistant à jeter des ponts entre la capitale et le reste du territoire, à débarquer et re-débarquer de l’un à l’autre, se distingue par l’objet de ces quêtes métafrançaises. Comme un acte de contrition survenu en réaction aux Gilets jaunes, ce glissement des récits vers une « France périphérique » (expression controversée du géographe Christophe Guilluy) essentiellement blanche et plus ou moins réenchantée semble bien travailler à une décentralisation tardive de la fiction française, à qui on a longtemps reproché son parisianisme. Mais le « centre » n’a pas disparu, parce qu’il reste le prisme : les quatre coins de la France ne sont rien d’autre qu’un hors-champ de Paris. Là où des premiers films indépendants et plus aventureux inventent une vie propre à des sites pourtant proches du désertique (les Hautes-Alpes de L’Engloutie, la station de ski Laurent dans le vent), les décors de Connemara et consorts sonnent creux.
Les villes natales de certains protagonistes sont d’ailleurs à peine nommées, comme dans Partir un jour, situé dans le Loir-et-Cher (les gens n’y font pas de manières, comme disait le poète) mais donc tourné bien plus à l’est ; peu importe cette entorse, le paysage semi-rural y devenant une province générique, théorique presque. Le dispositif de comédie musicale le ramène à un arrière-fond oblitéré par les numéros chantés, et par le rapport socio-affectif qu’ils s’efforcent de mettre en scène (le tiraillement d’Armanet entre les enjeux de sa vie présente et ses amours passées). L’âme négligée desdites régions n’est donc pas le sujet ici, pas plus que les tensions intercommunautaires ou entre centres-villes et cités. Les conflits de classes pourraient sembler avoir pris le pas, mais ils sont traités par-dessus la jambe dans la mesure où ils apparaissent in fine comme de faux problèmes. Il suffit de les dépasser grâce à la musique donc, dans En fanfare, Partir un jour et Connemara, ou bien de les diluer dans des amourettes Harlequin améliorées ; puis chacun rentre chez soi, là où vaches et moutons seront bien gardés.
Lire aussi : “À quoi ressemble la production indépendante française en 2025 ? Entretien avec Antoine Simkine“
Les bluettes sociologiques à la Nicolas Mathieu sont en somme le pâle compromis entre les vaudevilles à la Clavier/Boon et ce vieil idéal d’un peuple à la fois fidèlement représenté et doté d’un destin romanesque (atteint par Renoir, Pagnol, Pialat ou Kechiche). Malaxant le thème du souvenir, de la nostalgie (vieux tubes partout, flash-back intempestifs dans Connemara, et même voyage chamanique vers le xixe siècle dans La Venue de l’avenir), elles permettent, en ces temps moroses, de poser en creux la question mémorielle du roman national – non plus seulement « Comment vivre ensemble en France ? », mais « Qu’est-ce au juste que la France ? » – sans pour autant sombrer dans l’idéologie réactionnaire des documentaires soutenus par la sphère Bolloré (Sacré Cœur et son catholicisme transi) ou des spectacles contre-historiques sponsorisés par Pierre-Édouard Stérin.
On leur saurait gré de tenter d’opposer à cette propagande des portraits plus nuancés du pays et de son héritage lyrique (dût-il s’agir de Sardou et des 2Be3), si l’entreprise ne s’éparpillait dans une collection de clichés candides voire abêtissants. Que les mêmes corps, les mêmes topoï reviennent d’un film à l’autre – la figure de Bastien Bouillon, les non-lieux filmés sans rien en dire sinon qu’ils détonnent avec le décor parisien, l’amour qui renaît à la patinoire dans Partir un jour comme dans Connemara… – dit bien que cette recherche existentielle du récit français se mord la queue, au point de devoir parfois imiter des cultures étrangères où le roman national dispose d’une imagerie prête à l’emploi (la citation hollywoodienne de Klapisch). Au moins ces tâtonnements rappellent-ils, par effet de contraste, que les rares cinéastes encore capables de saisir une idée juste et composite du peuple (Dumont, Ameur-Zaïmèche, Guiraudie, Diop, Kechiche…) y parviennent au prix d’une attitude contraire : filmer la francité des êtres tout en faisant de celle-ci un non-sujet.
Yal Sadat

22 septembre 2025 à 20:00
Le Ciné-Club des Cahiers : Le Congrès d’Ari Folman, le 22 septembre à 20h au Cinéma du Panthéon

20 août 2025 à 11:00
Lynch lithographe : péril en la demeure
EXPOSITION. Jusqu’au 21 septembre, la galerie Duchamp à Yvetot expose plusieurs lithographies de David Lynch : une autre porte d’entrée de son univers s’ouvre, non pas en complément mais bien en vis-à-vis de son travail de cinéaste.
La sirène d’une ambulance retentit en boucle dans l’espace aux allures de nocturama où teintes rouges et bleues finissent par se mêler. Le son du tout premier court métrage de David Lynch, Six Men Getting Sick (1966), donne le ton : cette alerte infinie rythme la visite de l’exposition qui fait la part belle à la pratique de la lithographie. Flammes, éclairs, corps difformes et maisons en proie aux insectes peuplent ces saynètes dont on devine souvent les rideaux de part et d’autre du dessin. L’ambiance est électrique et surréaliste. D’un surréalisme à la Marcel Duchamp, auquel Lynch rend hommage dans une de ses estampes : le corps blanc d’une femme est étendu sur l’herbe, jambes ouvertes, une lampe à la main ; son visage nous est caché. Et ces deux lettres inscrites, E. D., l’abréviation d’Étant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage… (1946-1966), renvoyant à cette œuvre secrète, voire testamentaire, de Duchamp, seulement visible par deux trous percés dans une porte. Elle est exposée au Philadelphia Museum of Art depuis 1969, et Alexandre Mare, commissaire de l’exposition, aime à imaginer le jeune David Lynch, tout juste sorti des Beaux-Arts de la ville à cette époque, y jeter un œil, tel Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan) dans Blue Velvet. Lynch déclarait d’ailleurs : « Pour accéder à d’autres dimensions, il faut passer par quelque chose. Il y a peut-être plein de trous par lesquels on peut passer. » Regardeur, voyeur et visionnaire, Lynch ne cesse de vouloir passer d’un espace à l’autre, et la scénographie de l’exposition est une invitation à circuler dans un lieu tout liminaire qui n’est pas sans rappeler la fameuse Red Room. Une traversée sous forme de storyboard, montage d’une image à l’autre, sous le regard goguenard d’un hibou empaillé pince-sans-rire, tout droit sorti de Twin Peaks et posé là sous les poutres de l’ancienne minoterie.
Vue de l’exposition à la galerie Duchamp, Yvetot. © Salim Santa Lucia
Pierre de folie
La folie serait causée par un caillou logé dans la tête : c’est la croyance, qui a la peau dure au Moyen Âge, telle qu’elle est représentée dans La Lithotomie (vers 1494) par Jérôme Bosch. Cette Extraction de la pierre de folie (son autre titre) pourrait être une bonne définition de l’usage de la lithographie par Lynch. Sur l’une des premières pierres qu’il a inscrites, on peut deviner la façon qu’il avait de travailler en « milieu humide », c’est-à-dire en partant de l’encre noire mêlée à beaucoup d’eau. De ce lavis en peau de crapaud, matière plastique très malléable, il révélait d’abord les particularités de chaque pierre puis peignait cette surface avec des instruments, mais aussi avec les doigts, pour donner forme à sa vision. À la différence d’un geste de gravure qui entaille, la lithographie est rendue possible par la pierre calcaire et poreuse qui absorbe naturellement l’eau et garde l’encre grasse à sa surface. Le dessin s’imprime ainsi sous la presse imposante que Lynch surnommait Moby-Dick et qu’il a filmée dans un court métrage intitulé Idem Paris de 2013 présenté au sous-sol de la galerie, véritable hommage à l’atelier du même nom où il s’est rendu régulièrement pendant plus de dix ans. La caméra est entraînée dans un mouvement panoramique de gauche à droite, de droite à gauche, suivant la cadence de l’impression de la pierre matricielle à son multiple sur papier. Puis, face à la machine, on suit le mouvement ascendant sur l’impressionnante verrière de l’atelier, comme si le corps de l’artiste finissait par passer lui-même sous presse.
Vue de l’exposition à la galerie Duchamp, Yvetot. © Salim Santa Lucia
Idem Paris de David Lynch (2013). © Salim Santa Lucia
Poisse et secousse
Les images imprimées suintent comme dans son cinéma. Les murs dans ses films rendent leur jus là où la pierre lithographique rend l’encre. Les espaces y sont sombres, insondables et rappellent les intérieurs oppressants de Lost Highway ou visqueux d’Eraserhead. Les figures barbouillées renvoient à The Bum près des poubelles du diner de Mulholland Drive, ou au bûcheron au visage noirci qui cherche du feu dans Twin Peaks: The Return. On retrouve ainsi dans ces lithographies signées entre 2007 et 2020 ses obsessions cinématographiques passées et futures.
Un corps aux contours mouvants, quelques points pour repérer seins, nombril et œil, ses deux bras levés et un sourire qui lacère ce qui lui tient de visage: érotisme teinté d’horreur, Girl Dancing (2008) apparaît, suggestive et monstrueuse, telle une goutte d’encre qui plonge dans l’eau ou une volute de fumée. Quelle étrange lap dance se joue ici ? Une figure incertaine qui rappelle la créature émergeant dans le bloc en verre de The Return et qui pourrait finir par nous manger les chairs.
Cette facture si particulière de la lithographie agit sur nous comme une sorte de pré-cinéma à la manière d’une flamme qui danse et, par jeu d’ombres, anime le corps : partout l’encre tremble, le dessin crie, les figures se dérobent et l’espace vibre, comme quand Lynch secoue la caméra. Un goût de la saccade qu’on trouve déjà dans The Alphabet (1969), sûrement projeté ici pour ces lettres qui apparaissent une à une, telles des ectoplasmes sortis de ce corps féminin au visage peint en blanc évoquant les photographies de cabinets de spiritisme du début du XXᵉ siècle.
Vue de l’exposition à la galerie Duchamp, Yvetot. © Salim Santa Lucia
Les visions angoissantes de Lynch ne se font jamais sans un certain humour, un bizarre-drôle porté par le texte, toujours ajouté à la fin dans la composition. Dessin au même titre que le reste, à la graphie légèrement vacillante (« house of electricity » ; « insect on Chair »; « I have wild Chicken » ; « mountain with eye » ; « oh, A BAD DREAM comes »), sous-titre à l’écran ou titre redoublé sur le papier, le texte n’illustre pas mais décale le regard. Ce ne pourrait être que descriptif, ça devient biscornu. Pour exemple, House With Insects (2020) représente bien la forme dense d’une maison archétypale, avec cheminée et toit pointu, mais dans un paysage liquide où l’insecte se fait autant araignée que pieuvre. Dans cette perte de repères, une flèche pointée dans le ciel en guise de signalétique et dirigée vers… vers quoi ? Un requin-léopard volant ? Les lithographies de Lynch deviennent un grand imagier enfantin dans sa version cauchemardesque. Ou prophétique : « Fire on Stage », « Fire in City » et « My House Is on Fire – Modern Device ».
Anna Buno
David Lynch, jusqu’au 21 septembre à la Galerie Duchamp à Yvetot (entrée libre et gratuite)
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