
Ce qu’il reste à espérer
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Publié le 13 mars 2025 par
EXPOSITION. Après l’herbier de Sept promenades avec Mark Brown, Pierre Creton et Vincent Barré proposent une nouvelle balade, à Yvetot puis à Fécamp, où brille le goût du détail.

Vattetot et Va, Toto ! riment avec Ex-Voto : nom de ville, titres de film ou d’exposition se mêlent et forment une ritournelle lancinante. En traversant la galerie Duchamp d’Yvetot, cet air tout droit tiré de notre imagination nous entête davantage. Après la sortie en salles en janvier dernier de leur sublime Sept promenades avec Mark Brown, Vincent Barré et Pierre Creton nous content encore fleurette. Mais la chansonnette qu’on s’invente est-elle une comptine ou une antienne ? Figure de la prière, de la réparation, de la protection, de l’attente ou du désir, l’ex-voto est un objet intimement façonné, ou une image soigneusement choisie, d’emblée « chargé d’affect », selon les mots de Creton. Avec un ex-voto, il y a vœu, offrande, remerciement pour un acte de guérison. À un dieu, à un fantôme ou à une personne bien vivante, à une situation, il y a oblation ou don, afin de rendre grâce pour une vie saine et sauve.
Les ex-voto sont chargés d’une histoire, d’expériences de vie. Le grand nombre d’œuvres présentées ici renvoie à autant de récits singuliers, et leur mise en espace dans la galerie est comme un bois essarté de la main (organe partout représenté ici) : un ensemble morcelé de formes très diverses – dessins, sculptures, photographies, vidéos –, parsemées comme les fragments d’un journal qui amasserait « les espérances accomplies et ce qu’il reste à espérer», et qui « interdit tout repentir». Il n’y a pas de cartel dans l’exposition, et les travaux des deux artistes se confondent avec ceux d’invités, proches ou moins proches, élèves, jeunes et moins jeunes, qui viennent prendre des cours dans le centre d’art où Creton enseigne. Notre ritournelle tourne alors au marabout (le jeu) et se télescope avec l’idée de rebouteux ou de guérisseur…

Toutes ces formes font ex-voto dans l’exposition, y compris le disque vinyle du Pierrot lunaire, accroché comme une « lune noire », une « lune malade » qui accompagne la projection de Simon, at the Crack of Dawn, film coréalisé en 2016 à propos d’un boulanger d’origine ivoirienne. Saint Roch, patron des chirurgiens et des boulangers (souvent représenté un chien à ses côtés, qui lui porte du pain alors qu’il est atteint de la peste et s’est réfugié dans les bois), devient allégorique alors, avec ces Boîtes de secours en bois au mur, ces grosses miches posées les unes sur les autres et ces Cretons de pain de fin de repas, croûtons secs conservés comme « des reliques » et coulés en bronze. « Les visiteurs à ma table pensent à des pattes d’animaux », écrit Creton en légende ; on y voit – suite de notre ritournelle sans queue ni tête – deux sexes masculins collés l’un à l’autre, comme une résurgence figée d’Un prince.
Des figures protectrices – outre saint Roch, Kafka et Bataille, et beaucoup d’autres noms, connus ou méconnus, écrits au stylo Bic sur des listes encadrées –, on retiendra Lynch, dont le livre L’Espace du rêve est protégé par le verre, coupé à sa taille, d’une serre de Creton détruite par la tempête Ciarán en novembre 2023. Deux bûches sont exposées : une nommée « Robert », l’autre « Madeleine », qui vient de chez son amie Ghislaine : « J’ai vu cette bûche de charme étrange qui m’a fait penser à celle de la Log Lady [« la femme à la bûche » de Twin Peaks, ndlr.] et qui pourtant n’a rien à voir. Je lui ai demandé (je ne l’ai pas volée) si je pouvais l’emporter. Je suis rentré sous la neige, avec elle sous le bras.» Quelle plus parfaite figure de l’objet votif, du sujet aimé ?
Philippe Fauvel

Ex-Voto, jusqu’au 13 avril à la galerie Duchamp à Yvetot.
Ex-Voto, figures du soin, du 8 mars au 31 août au Musée des pêcheries de Fécamp.
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