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Doclisboa : où est la maison de nos images ?

The Vanishing Point de Bani Khoshnoudi (2025).

Doclisboa : où est la maison de nos images ?

ActualitésDoclisboa - Festival International du Film Documentaire

Publié le 5 décembre 2025 par Claire Allouche

Mi-octobre, pendant la 23E édition de Doclisboa, festival consacré aux formes les plus stimulantes du cinéma du réel, plusieurs films partageaient une même inquiétude sur la vulnérabilité des images, autant en termes de fabrication que de diffusion et de préservation.

Lors de son discours d’ouverture au cœur du majestueux cinéma São Jorge, la nouvelle équipe de programmation de Doclisboa (Hélder Beja, Cecilia Barrionuevo, Cíntia Gil, Boris Nelepo) nous prévenait de la fragile pérennité des salles lisboètes et de la nécessité redoublée de les peupler.

Une semaine plus tard, le Prix du meilleur film de la compétition internationale, La noche está marchándose ya d’Ezequiel Salinas et Ramiro Sonzini, répondait à ces mots. Ce premier long métrage argentin relate les derniers moments d’un ciné-club municipal, porté à bout de bras par le passionné Pelu.

Après avoir été le projectionniste du lieu, il est contraint d’en devenir le gardien permanent. En ouvrant les portes clandestinement la nuit, il donne refuge à une communauté de marginaux. Ensemble, ils regardent défiler l’histoire du cinéma autant qu’ils se laissent dévisager par elle.

Tourné dans un noir et blanc hors du temps, La noche está marchándose ya (« La nuit est déjà en train de s’en aller ») cultive tout du long une claustrophilie aussi mélancolique qu’irrévérencieuse. Une séquence cocasse met en scène un dialogue bruitiste entre les gamins pétomanes de Bonjour de Yasujirô Ozu et les flatulences de l’auditoire argentin contemporain.

La salle de cinéma est dépeinte par les vies qu’elle rend supportables ainsi que par la mémoire des hommes qu’elle rend accessible. Cet enjeu-là était également au centre de Cinema Kawakeb de Mahmoud Massad. Cet autre titre de la compétition internationale confronte le quotidien d’un cinéma jordanien sur le déclin, filmé en une ritournelle de plans fixes, à des archives filmées de la région.

Cinema Kawakeb de Mahmoud Massad (2025).

de Mahmoud Massad (2025).

Comment faire tenir une salle pour que l’histoire d’un peuple continue à circuler ?

À cet égard, il était saisissant de voir dans le même élan trois documentaires réalisés au Moyen-Orient, dont la première mondiale a eu lieu il y a peu. Tous trois œuvraient à donner un lieu aux images de récents événements, alors que les pays de naissance ou de résidence des cinéastes sont en flammes, voire en ruines : sous la forme d’un puzzle impossible, contraint par le silence familial en Iran, dans The Vanishing Point de Bani Khoshnoudi ; par l’agencement de rushes datées de vingt ans dans With Hasan in Gaza de Kamal Alfajari ; et sous les traits d’une chronique familiale en temps de guerre au Liban dans Tales of the Wounded Land d’Abbas Fahdel.

Baumettes Studio d’Hassen Ferhani (Prix du meilleur court métrage) et Um Minuto é uma Eternidade para Quem Está Sofrendo de Wesley Pereira de Castro et Fábio de Castro travaillaient quant à eux à bâtir leur propre maison-cinéma pour s’extirper d’un état de suffocation.

Lire aussi : “Topoï et utopies à Doclisboa 2024

Dans le studio pénitentiaire des Baumettes, Ferhani invite des détenus à réinventer le monde avec fougue, face caméra. En fond se succèdent des décors de fortune, de plage paradisiaque en désert de western.

De son côté, Wesley Pereira de Castro a été captif casanier pendant le long confinement brésilien. Pour s’éprouver vivant et donner sens au temps suspendu, il s’est filmé régulièrement. Il partage à la fois ses pulsions de survie et des mises au point sur sa cinéphilie.

Le résultat est déroutant : un journal anxiogène où le désir d’images déborde la possibilité de les réaliser. Seules les ellipses, qui répondent à un tempo organique, laissent présager un havre de paix.

Claire Allouche

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