
Éditorial HS N°4 – Persistance de Clint Eastwood
Actualités
Publié le 28 novembre 2024 par
Voilà bientôt soixante-dix ans que Clint Eastwood a fait ses débuts au cinéma comme acteur de se-cond rôle – sa première apparition date de 1955. Et voilà plus de cin-quante ans qu’il a démarré sa carrière de cinéaste – c’était en 1971, avec Un frisson dans la nuit – tandis que son dernier film, Juré n° 2, est sorti le 30 octobre dernier dans les salles françaises. Une telle longévité est sans équivalent dans le cinéma américain contemporain, et rare dans l’histoire d’une cinématographie qui privilégie généralement la jeunesse au détriment des films tardifs. La séduction exercée par l’acteur et le per-sonnage ne suffit pas à expliquer la persévé-rance d’une figure qui contient, à elle seule, les antagonismes d’un pays complexe et d’un cinéma multiple. En ne cherchant surtout pas à résoudre entièrement ces contradictions et paradoxes, ce numéro hors-série dédié à Clint Eastwood les embrasse avec un plaisir gourmand. Il va sans dire qu’en quarante longs métrages en tant que cinéaste, l’auteur de grands films comme Bird, Impitoyable, Un monde parfait ou Sur la route de Madi-son, mais aussi d’objets passionnants plus inclassables, comme Josey Wales, hors-la-loi, L’Épreuve de force ou Minuit dans le jardin du bien et du mal, a brassé une multitude de formes, de signes et de thèmes que ce numéro scrute avec attention.
Dans les années 1970, les Cahiers ont totalement ignoré les premiers films de Clint Eastwood. Mais, à partir de Bronco Billy, sorti en 1980, la revue n’a plus cessé de suivre avec passion une filmographie qui a fait longtemps alterner films d’action et oeuvres plus personnelles, mêlant parfois les deux pour mieux brouiller les cartes, voire les redistribuer. C’est Olivier Assayas, à l’époque rédacteur des Cahiers, qui fut le premier dans la revue à repérer la singularité d’un cinéaste qui fait le lien entre John Ford et la modernité des années 1970. Il s’en explique ici dans un entretien où il trace la généalogie de son amour pour un cinéma complètement à part dans l’horizon contemporain. À partir de là,Clint Eastwood a fait partie de ces auteurs chéris qu’on aime retrouver chaque année ou presque. Toutes les générations de rédacteurs et rédactrices ont déclaré leur flamme à celui qui n’a jamais quitté le paysage du cinéma américain, au point de faire figure d’éternel survivant. Si certaines décennies ont brillé plus que d’autres – les années 1990 notamment –, le cinéma d’Eastwood n’a plus jamais provoqué l’indifférence ou le mépris. Bien au contraire. Ces dernières années, alors qu’on le croyait fatigué eu égard à son âge, l’acteur a refait surface à travers deux autoportraits bouleversants : La Mule et, dans une moindre mesure, Cry Macho. Avec ces deux films, Eastwood, toujours inventif, a transgressé une loi tacite qui veut qu’un acteur-cinéaste ne se filme plus à partir d’un âge avancé. Par ailleurs, son dernier film, Juré n° 2, dans lequel il n’apparaît pas, prouve que sa rigueur de mise en scène est intacte, et même peut-être plus tranchante que jamais.
Ce numéro a des allures de bilan, mais cet inventaire n’est pas pour autant clos, d’autant plus que nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise, celle d’un nouveau film du grand Clint, dans les années qui viennent. De la figure controversée de l’Inspecteur Harry à celle du retraité bougon mais magnifique de Gran Torino, l’image de Clint Eastwood, qui ne s’est jamais résigné à coïncider avec ce que les autres disaient de lui, n’a cessé de bouger, pour mieux nous dérouter. C’est cette image en mouvement perpétuel que nous avons essayé de capter sous ses formes les plus diverses, esthétique, politique, musicale, violente et tendre tout à la fois, à travers des réflexions multiples, à l’image de celles du cinéaste espagnol Albert Serra, amateur inattendu d’un cinéma qui paraît, au premier abord, très éloigné de son propre travail. Finalement, c’est la persistance obstinée, jamais convenue, d’un homme qui porte en lui une incroyable foi dans le cinéma que nous célébrons dans ce hors-série dédié à un authentique auteur.
Thierry Jousse et Marcos Uzal
À lire également
Ancien numéro HS N°3 : Hors-série Cahiers du cinéma N°3, novembre 2023
Ancien numéro HS N°2 : Hors-série Cahiers du cinéma N°2, novembre 2023
Ancien numéro HS N°1 : Hors-série Cahiers du cinéma N°1, avril 2023
Anciens Numéros