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Pluribus de Vince Gilligan – Breaking good

Pluribus de Vince Gilligan (2025).

Pluribus de Vince Gilligan – Breaking good

ActualitésHors salles

Publié le 12 décembre 2025 par Raphael Nieuwjaer

La patience de qui regarde défiler jusqu’à son terme le générique est récompensée par l’apparition d’une curieuse mention : « This show was made by humans. »

Manière, discrète mais ferme, de revendiquer, contre l’usage de plus en plus invasif de l’intelligence artificielle générative, un savoir-faire proprement humain. Manière, aussi, de suggérer que Pluribus n’a d’autre sujet que l’humanité même. Vaste question, qui prend d’abord la forme d’un thriller paranoïaque avant de muter en fable philosophique. C’est que le problème est double. Si, dans un premier mouvement (d’incompréhension, de fuite, d’horreur), il s’agit de marquer la différence entre nous et « eux », encore faut-il savoir ce qui nous constitue exactement.

Face à une forme de vie extraterrestre transformant les corps humains en hôtes d’un super-organisme bienveillant, Carol Sturka (Rhea Seehorn) revendique haut et fort son individualité – et sa mauvaise humeur. Mais cela ne saurait suffire très longtemps. Surmonter la peur, dépasser le ressentiment, se montrer vulnérable, s’ouvrir à la joie : voilà le programme, en rupture manifeste avec les précédentes créations de Vince Gilligan, Breaking Bad (2008-2013) et Better Call Saul (2015-2022). Une telle veine thérapeutique n’est pas sans risque. Rusés, Walter White et Saul Goodman piégeaient leurs adversaires, et les spectateurs avec eux, dans des machinations à triple détente. Le récit était un moyen d’attaque et de défense, le suspense faisait loi.

Passé un premier épisode magistral évoquant L’Invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel, la tension ici retombe, les explications commencent, les antagonismes s’estompent. Si Carol résiste à son incorporation, elle n’en est pas moins une figure transparente pour l’entité extraterrestre. Il s’agit dès lors moins d’enchaîner les péripéties que d’exposer de nouvelles conditions d’existence. Quand un épisode s’achève sur un cliffhanger, celui-ci se dissipe presque aussitôt comme l’effet d’une agitation vaine, d’une opposition indue. Ce relâchement semble paradoxalement encourager Gilligan à concevoir les séquences comme d’amples segments réglés au millimètre, énigmes de gestes et d’actions dont le dessein émerge par surprise.

Pluribus de Vince Gilligan (2025).

de Vince Gilligan (2025).

Parfois impressionnants pour leur dimension chorégraphique, ces morceaux de bravoure n’échappent pas toujours au sentiment qu’ils font distraction, comme si Pluribus n’osait s’approcher trop vite et trop près des gouffres de son personnage principal. Après la fausse piste d’une fiction globale à la Sense8 (Lana et Lilly Wachowski, 2015-2018), la série se resserre toutefois sur l’espace qu’affectionne Gilligan : la ville d’Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Cernée par le désert, celle-ci se videra tout à fait de ses habitants, laissant Carol dans une solitude tout juste rompue par une meute de loups et des livraisons par drone.

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Au septième épisode, le dernier visible à l’heure où ce texte est écrit, les défenses – de la série, de la protagoniste – sont enfin prêtes à tomber. Dans un flash-back, la compagne décédée de Carol lui dit qu’elle adore se sentir mal. Le mauvais esprit, la plainte, la contradiction sont en effet encore des manières de jouir en se racontant des histoires, pour celle qui non sans cynisme a bâti son succès sur le commerce de romances stéréotypées.

Entre le « feel bad » et le « feel good », Pluribus cherche une voie qui libérerait la forme sérielle de l’obligation d’efficacité narrative afin de laisser libre cours à la description de moments autonomes, pleins. Est-ce heureux ? C’est en tout cas, de la part de Gilligan, une tentative plus que louable.

Raphaël Nieuwjaer

PLURIBUS
États-Unis, 2025
Création Vince Gilligan
Réalisation Adam Bernstein, Melissa Bernstein, Zetna Fuentes, Vince Gilligan, Gandja Monteiro, Gordon Smith
Scénario Vera Blasi, Jenn Carroll, Vince Gilligan, Jonny Gomez, Ariel Levine, Gordon Smith, Alison Tatlock
Décors Dins Danielsen, Guillermo Llaguno, Chet Maxwell, Julian Scalia
Interprétation Rhea Seehorn, Karolina Wydra, Carlos Manuel-Vesga, Miriam Shor, Samba Schutte
Durée 9 épisodes de 40 à 60 minutes
Diffusion Apple TV

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