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L’Engloutie de Louise Hémon

© Cahiers du Cinéma

L’Engloutie de Louise Hémon

ActualitésCritiqueQuinzaine des cinéastes 2025

Publié le 15 mai 2025 par Charlotte Garson

Après le succès « ès comté » de Vingt dieux à Un certain regard l’an dernier, chaque édition cannoise aura-t-elle désormais son lot de fictions montagnardes ?

Coécrit avec Anaïs Tellenne (la réalisatrice de L’Homme d’argile), le premier long métrage de fiction de Louise Hémon fait débarquer dans les Hautes-Alpes de 1899 une jeune institutrice. Galatea Bellugi (sortie de la grotte de Lourdes de Tralala) a pour bagage une Marianne en stuc, un planisphère et une liasse de principes Troisième République. La poignée de paysans du hameau, appelé Soudain, coiffent un jour le toit de son logement de fonction d’un cercueil plein : dans l’attente du printemps, la couche de neige qui recouvre les tuiles conservera le vieil homme qui vient de mourir et que la terre gelée ne permet pas d’enterrer. La coutume, hygiénique, n’a rien d’hostile, mais elle confère dès lors au quotidien de « mademoiselle Aimée », alias maestra (on parle ici l’occitan alpin), une texture particulière.

Contre toute attente fantastique, la mise en scène se tient à la matérialité ethnofolklorique des accents et des ustensiles, à la particularité des personnages, jamais réduits à une fonction dans le groupe ou à un cliché montagnard. « Ma chérie, la révolution ne se fera pas sans un peu de sucre », lit Aimée sur un mot de ses parents accompagnant une boîte de bonbons. De sucre, Louise Hémon n’en abuse pas : comme l’institutrice qui suit du doigt la gravure d’un homme nu dans son petit Descartes relié, les montagnards caressent en pensée l’Algérie et la Californie, mais aucun forçage scénaristique ne nourrit un imaginaire de l’exil. La neige, qui enserre le hameau à coup d’avalanches, décide des bifurcations narratives. Inspirée par les écrits de deux de ses ancêtres, la cinéaste amène la sécheresse documentaire d’un Vittorio De Seta vers l’incandescence d’un drame gionien.

Charlotte Garson

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