
Ciudad sin sueño de Guillermo Galoe
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Publié le 20 mai 2025 par
Futur antérieur
« Alors on vit des ombres de feu, et ces ombres de feu, c’était le futur.
– Raconte-nous le futur !
– Encore ! Non, Toni, toi, raconte-leur. »
Ce futur conjugué au passé du conte, immémorial, est celui d’un village d’or, survolé d’oiseaux colorés et baigné de trois fleuves : le premier de lait sucré, le second de vin, le troisième de café. Son histoire est narrée lors d’une veillée animée à La Cañada Real, l’un des plus grands bidonvilles d’Europe situé dans la banlieue de Madrid, où cohabitent des communautés roms et marocaines. Guillermo Galoe y a construit collectivement son premier long, développé d’après un court qui en posait déjà les fondations – Aunque es de noche (repéré à Cannes et couronné d’un Goya).
Le film, très simple dans sa fiction, brosse la fin d’un temps : le démantèlement d’un monde (détruit pour des raisons de spéculation immobilière) dédoublé par la sortie de l’enfance du protagoniste. Le présent du quotidien et de la débrouille se voit creusé et amplifié des songes de ce qui aurait pu être ou de ce qui aura été ; de tous les temps rêvés ajoutés aux temps vécus.
C’est que le désœuvrement de l’enfance donne accès à la durée : pour errer, jouer, imaginer des mondes alternatifs. Le film n’idéalise certes pas un lieu privé des ressources les plus élémentaires (comme l’électricité) ou engourdi par le trafic de toxiques. Mais il s’attache à peindre une culture affranchie : des champs à perte de vue plutôt que les clapiers des HLM et l’invention de rythmes propres, festifs, intempestifs, familiaux, rituels. Au son, les chants, cris, vrombissements de quads et aspirations de vapoteuses, donnent un souffle vital au site. À l’image, la transfiguration opérée par Rui Poças (brillant chef opérateur, entre autres pour Miguel Gomez) est saisissante. Les prises de vues réalistes, proches des visages et mobiles, alternent avec des tableaux qui nous emportent dans des mondes multiples : des nuits de Ribera aux hallucinations chromatiques de David Hockney. C’est que les enfants, par le biais des filtres de leur portable, documentent leur espace et y projettent tous les possibles d’une faune et d’une atmosphère surnaturelle.
On aurait tort de rejeter ce principe comme un artifice esthétisant : cette lumière aura été là, cette maison imaginaire aura été construite, ce grand-père fort comme un roc aura été aimé, et ces couleurs à la limite du spectre sensible auront été imprimées dans nos rétines.
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