
L’Aventura de Sophie Letourneur
ACID 2025ActualitésCritique
Publié le 15 mai 2025 par
Au bout de l’île
Second opus de ce qui deviendra une trilogie, L’Aventura pousse plus loin la méthode de réécriture du réel mise en œuvre par Sophie Letourneur dans Vacances en Italie : enregistrement de conversations de famille en vacances, dont seront ensuite montés ensemble des extraits pour former les dialogues rejoués par les comédiens et comédiennes pendant le tournage. Le film réitère l’entreprise de s’emparer de ce que le quotidien a de plus trivial – choix de l’hôtel, conflits sur la commande à passer au restaurant, transit intestinal trop vif ou trop lent… –, de s’approcher d’aspects de l’existence trop proches de nous pour paraître au premier abord dignes d’être racontés, et d’en faire pourtant une matière qui sera modelée avec la plus grande précision.
Les vacances se déroulent cette fois en Sardaigne, réunissant Sophie, ses enfants Claudine et Raoul, et Jean-Phi, père du garçon – la première du film en ouverture de l’Acid avait ceci de particulier qu’elle rassemblait modèles et interprètes, et qu’ont ainsi pu participer au débat qui suivit aussi bien l’excellente interprète de Claudine (Bérénice Vernet) que le « vrai » Raoul.
Mais la structure du film travaille plus frontalement la relation entre le vécu et son récit : l’essentiel des scènes rassemble la famille autour du projet de Claudine de consigner dans des enregistrements le récit du voyage au fur et à mesure qu’il se déroule. L’imbrication vertigineuse d’un présent et d’un passé du récit, toujours relatifs, ménage cet écart qui constitue aussi une place pour la personne qui regarde cette famille sans en faire partie.
Il nous invite à participer à cette tentative de remémoration qui est aussi, sourdement, le temps de la construction du sens. Le couple devient dans cet opus la toile de fond sur laquelle les couleurs des émotions enfantines viendront s’exprimer. C’est l’autre écart dans lequel on peut se glisser : entre les propos sans filtre des plus jeunes et les discours parfois plus sinueux des adultes se racontent les modulations de l’expérience au cours d’une existence. Pour les uns et les autres, la même question se pose : entre ce que l’on vit et ce que l’on retient, quel rapport ? Comment une somme d’événements insignifiants et souvent pénibles en vient-elle à constituer une vie (de famille) heureuse ? Loin d’apparaître stérile, la réflexivité du film révèle plus nettement la profondeur du geste de Letourneur, son audace obstinée.
Olivia Cooper-Hadjian
Anciens Numéros