
Cercle polar nordique
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Publié le 11 septembre 2025 par
RÉTROSPECTIVE. L’un des points forts de cette édition d’Il cinema ritrovato aura été une sélection de polars scandinaves d’après-guerre.
Il était temps de se demander si le tropisme nordique du polar dans la littérature et les séries actuelles puisait à une source cinématographique, celle où baignait la rétrospective Norden Noir, concoctée grâce à une collaboration entre les cinémathèques danoise, suédoise et norvégienne. Les invités de ces pays ont richement accompagné à Bologne ce programme de sept films autour d’une question de fond : qu’est-ce qui fait leur singularité par rapport au film noir américain ?
Si l’on pense beaucoup à certains classiques hollywoodiens, même dans leur façon de dialoguer avec ceux-ci, les films présentés semblaient particulièrement singuliers. C’est le cas de I dimma dold du Suédois Lars-Eric Kjellgren (Dans le brouillard, 1953) qui s’assume à tel point en commentaire au Laura de Preminger que le détective chargé de l’enquête parle du film de Preminger à la jeune femme accusée du meurtre de son mari. Ce sont les déambulations de celle-ci fuyant la police dans la première partie du film qui rendent I dimma dold bien plus fascinant que le vulgaire Cluedo qu’il devient dans un second temps : dans ses errances sous le regard des passants pointe un désespoir glacé, magistralement filmé par le chef opérateur de Bergman de l’époque, Gunnar Fischer, la vie intérieure de l’héroïne étant bien plus construite ici qu’un véritable suspense de whodunit.
Là où, côté américain, une lecture sociale semble toujours s’imposer en sous-texte, ici ce sont strictement les émotions qui priment, tantôt lumineuses, tantôt sinistres. Un autre exemple : le début du danois To minutter for sent de Torben Anton Svendsen (Deux minutes trop tard, 1952) peut faire penser au célèbre plan- séquence du Démon des armes de Joseph H. Lewis, mais ici la caméra portée dans la voiture, au lieu de filmer un cambriolage, saisit une rencontre hasardeuse entre un homme et sa belle-sœur qui déclenchera ensuite une scène de jalousie. Ou, de façon plus profonde, Dødener et kjæertegn de la Norvégienne Edith Carlmar, (La mort est une caresse, 1949), récit à femme fatale dont l’idylle avec un garagiste est sur- tout mis en danger par la banalité. Si le cœur tragique du film fait penser à Assurance sur la mort, c’est plus pour son amour fou que pour des manigances criminelles.
La figure de la femme seule errante marquait déjà le pion- nier danois Mordets melodi de Bodil Ipsen (Mélodie meurtrière, 1944, l’un des deux films du programme réalisés par une femme), mais dans une ambiance de cabaret et de pathos qui fait émerger les pulsions de partout, avec une double hypothèse folle : le tueur ou la tueuse est-il une femme sous hypnose ou un homme ventriloque qui imite sa voix ? Le film le plus tardif du cycle, Pa slaget atte, du Norvégien Nils R. Müller (Huit heures précises, 1957) pousse à l’extrême ce versant rocambolesque, avec une intrigue qui amène tous les personnages à agir comme des criminels.
Loin de rendre ce cinéma plus superficiel, l’absence d’en- jeux politiques évidents fait émerger un puissant fond mélodramatique. Ainsi l’inoubliable John og Irene (Absjørn Andersen et Anker Sørensen, 1949), où un duo de danseurs voit son amour sombrer dans la rage (et le crime) à la suite d’un manque de contrats pour leur spectacle, ou encore La Fille aux jacinthes du Suédois Hasse Ekman (1950), où le suicide d’une jeune femme devient sujet à enquête pour ses voisins, respectivement romancier et correctrice, détectives du dimanche retraçant les péripéties sentimentales de la défunte, véritable matière du film noir à la scandinave.
Fernando Ganzo
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