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Charlie Kirk et l’évangile « synthétique »

Extraits de vidéos générées par I.A. diffusées sur TikTok après l’assassinat de Charlie Kirk, le 10 septembre.

Charlie Kirk et l’évangile « synthétique »

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Publié le 12 novembre 2025 par Élodie Tamayo

Le meurtre de l’influenceur MAGA évangéliste Charlie Kirk (abattu le 10 septembre lors d’un débat à l’université de l’Utah) a suscité une myriade d’images. Parmi elles se distingue une veine générée par IA qui agrège le cérémonial posthume, l’histoire eschatologique et les technologies synthétiques.

« Ils peuvent tuer le messager, mais pas le message. » La phrase se répand en soutien à Charlie Kirk depuis son assassinat. Ce mantra s’accompagne pourtant d’une étonnante contradiction : les représentations qui pullulent sur les réseaux sociaux tirent parti de la disparition du corps réel de Kirk pour lui substituer un corps « glorieux », synthétique, créé par IA. Les speechs et images post-mortem, délivrés depuis l’au-delà du Net, se joignent aux faux hommages de stars (telles ces chansons endeuillées mimant la voix de Rihanna, Eminem ou Céline Dion).

Technologie de résurrection à portée de clic, l’intelligence artificielle actualise le schème chrétien du retour du Christ sous forme d’une entité dotée de propriétés nouvelles, débarrassée des contraintes physiques. Le messager, artificiellement sauvé de la mort, prolonge sa prédication de façon posthume. Il devient un ange médiatique, soit un « porteur de message » venu d’un outre-monde. Ces productions font aussi résonner la célèbre formule du théoricien des médias Marshall McLuhan : « Le message, c’est le médium. » Car ce nouveau type d’évangile (qui signifie « bonne nouvelle ») allie le prophétique au prosthétique.

Extraits de vidéos générées par I.A. diffusées sur TikTok après l’assassinat de Charlie Kirk, le 10 septembre.

Extraits de vidéos générées par I.A. diffusées sur TikTok après l’assassinat de Charlie Kirk, le 10 septembre.

L’IA, vitrail contemporain

Ces contenus participent en particulier d’une sortie de l’Histoire au profit de l’eschatologie et d’un recul de l’image-indice au profit de l’image-allégorie. Les comptes chrétiens en hommage à l’influenceur multiplient les réécritures du passé biblique. Kirk, inscrit dans une généalogie sainte, apparaît au milieu des foules de disciples devant la Croix, au panthéon des martyrs aux côtés des apôtres, voire carrément en apothéose céleste auprès du Christ. Ces brèves vignettes condensent une certaine tradition hollywoodienne du péplum biblique.

Dans la tradition des images d’Épinal, l’artificialité jusqu’au kitsch constitue moins un défaut qu’une vertu. Ces chromos animés associent des symboles évidents à des couleurs chatoyantes, pour une reconnaissance immédiate. Leur fabrication prend la forme d’un fan-art mêlant le mystique au populaire. Quant à l’anachronisme et au télescopage des temps, il s’accorde au désir d’une histoire spirituelle qui s’accomplirait dans l’actualité.

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En ce sens, l’IA devient un nouveau vitrail, comme on en trouvait dans les églises durant la Grande Guerre, où les poilus, martyrs patriotiques, remplaçaient les figures bibliques (de fait, certaines de ces créations en IA ont été diffusées dans des lieux de culte aux États-Unis).

On peut même supposer que le prompt (texte performatif qui ordonne la création d’images) rejoue quelque chose du pouvoir du verbe démiurgique, qui se fait désormais « chair numérique ». La mystification autour de l’exécution de ces contenus, qui masquent l’intervention de l’auteur, pourrait les associer à une origine techno-divine.

Le mélange et la reprise sur de multiples supports concourent en tout cas à brouiller les spécificités médiatiques au profit d’un pot-pourri immatériel. Ainsi de cette « peinture » virale numérique, représentant une accolade entre Kirk et le Christ sur fond de nuées géométrisées dont la « touche » renvoie tout autant à de possibles traces de pinceau qu’à une composition pixélisée.

Habituellement associé à la suspicion et à l’illisibilité conspirationniste (zoomé jusqu’à ne plus rien y voir), le pixel, monté au ciel, devient un carré de lumière et d’information glorieuse. L’organisation de Kirk – baptisée Turning Point USA – trouve dans la mort de son prophète une sorte d’accomplissement de sa doctrine : ce point de bascule dans la culture visuelle américaine scelle le mariage du numérique et du messianique.

Élodie Tamayo

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