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Week-End à l’Est : zoom sur la Roumanie

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé de Bogdan Muresanu (2024).

Week-End à l’Est : zoom sur la Roumanie

ActualitésFestival Un Week-end à l'Est

Publié le 26 novembre 2025 par Victor Morozov

Du 18 au 23 novembre au Christine Cinéma Club (Paris), la 9e édition de Week-End à l’Est consacrée à la Roumanie et parrainée par Cristian Mungiu permet de revenir sur le Nouveau cinéma roumain apparu au début des années 2000, mais aussi de frayer ses voies futures. À cette occasion, le critique Victor Morozov nous adresse cette lettre sur l’état du cinéma de son pays.

La Mort de Dante Lazarescu, deuxième long métrage de Cristi Puiu, fait l’objet d’une ressortie nationale en Roumanie pour fêter ses 20 ans. En remportant le prix Un certain regard à Cannes en 2005, ce grand film avait contribué à mettre sur la carte cinéphile internationale un « pays sans images », pour reprendre l’expression de Serge Daney juste après la révolution de 1989. Revoir le film aujourd’hui permet surtout de constater la force avec laquelle il a imposé certaines options stylistiques et idéologiques qui ont longtemps guidé l’évolution du cinéma roumain.

Si ses films récents se présentent comme des expériences intransigeantes (l’ésotérisme grandiloquent de Malmkrog, épopée messianique et bavarde à costumes, puis MMXX, variation paranoïaque en huis clos sur la pandémie poussant à l’extrême la conception de la mise en scène comme geste virtuose), Puiu lui-même est devenu une figure assez marginale, voire marginalisée, perdant son statut de gourou cryptique. Sa place a été prise en quelque sorte par Radu Jude, qui a accéléré ces dernières années le rythme de sa production conçue comme un laboratoire permanent.

MMXX de Cristi Puiu (2023).

de Cristi Puiu (2023).

Là où le Nouveau cinéma roumain avait consolidé une série de codes narratifs largement imités depuis, Jude s’est positionné en explorateur vorace des voies laissées en friche par Mungiu et les autres. Il a mis au goût du jour la revendication politique (Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares), le relief conflictuel des images (N’attendez pas trop de la fin du monde), et même un cinéma imprégné de poésie (Sleep #2, post-scriptum drôle et mélancolique à l’œuvre warholienne). Dracula, dernier opus en date, va au bout de ses obsessions et postule la bêtise comme à la fois maladie et remède du monde environnant.

Lire aussi : “Dracula de Radu Jude : Cinéma empalé

En télescopant l’expérimentation avant-gardiste et les sensibilités les plus trash, Jude montre une voie possible pour le cinéma tout en perdant à son tour l’aura de « bon objet » progressiste. C’est pourtant dans cette veine que sont apparus les films roumains les plus stimulants ces dernières années. Je pense surtout à Sorella di clausura (2025), troisième film de la Serbo-Roumaine Ivana Mladenovic, véritable synthèse risquée d’une filmographie voluptueusement farcesque, dont le penchant anthropologique pour les dépossédées et les excentriques, ainsi que le balkanisme vieux jeu, font d’elle la figure-clef d’une spécificité régionale rien moins que flamboyante.

Parallèlement, on constate aussi la réverbération prolongée du moment révolutionnaire, véritable événement qui scinde l’histoire récente de la Roumanie en un avant et un après difficilement conciliables. Avec Libertate (2023) et Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé (2024, lire Cahiers no 820), Tudor Giurgiu et Bogdan Muresanu, deux réalisateurs cherchant la synthèse entre le cinéma d’auteur et le film populaire, sont revenus auprès de ce moment fondateur. Structuré comme une histoire chorale pleine de coïncidences improbables, le film de Muresanu marque une nouvelle étape dans notre rapport à la révolution. Il pose un regard d’ensemble sur le communisme tardif, voyant dans la révolution un point d’orgue épique qui achève, par un spectacle grandiose (et un brin kitsch), un monde à l’agonie.

Car si le premier long métrage de Corneliu Porumboiu, 12h08 à l’est de Bucarest (2006), facétieuse leçon d’historiographie populaire, voyait dans la mémoire révolutionnaire diffuse un prétexte dérisoire pour l’autocélébration individuelle (synthèse d’une confusion toujours d’actualité), Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé a l’ambition d’illuminer un passé de plus en plus lointain. En ressort une série d’images d’Épinal ambivalentes qui, tout en critiquant l’ère Ceausescu, finissent par la neutraliser, comme si elles clôturaient définitivement cet épisode révolu de l’histoire nationale.

Victor Morozov

Programmation disponible sur weekendalest.com

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