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Claudia Cardinale : la femme à la valise

Claudia Cardinale dans Sandra de Luchino Visconti (1965).

Claudia Cardinale : la femme à la valise

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Publié le 26 novembre 2025 par Theo Esparon

Claudia Cardinale, disparue le 23 septembre, tourna dans certains des plus grands films des années 1960. Loin de l’image du sex-symbol, elle y a une présence qui cultive le secret, tendue vers le départ.

Claudia Cardinale a été élue la plus belle Italienne de Tunisie en 1957. Elle aurait pu être dès lors un sex-symbol qui s’affranchit, comme Sophia Loren. Mais elle impose une autre forme de présence. Dans La Jeune Fille à la valise de Valerio Zurlini (1961), l’un de ses premiers rôles importants, son corps s’absente : chanteuse de dancing, elle descend l’escalier en peignoir sur un air de l’Aïda de Verdi qu’a mis le jeune homme hilare et amoureux. Aucun strip-tease : tout repose sur son visage, le sourire esquissé et les yeux maquillés. Surgit dans le plan une forme d’honnêteté sereine venue de sa vie antérieure. Le film ne la montre pas et nous n’en avons que des indices. Cette dissimulation résonne avec la vie réelle : violée des années auparavant, Claudia Cardinale a eu un enfant dont tout le monde ignore alors l’existence.

Le passé du personnage hante les premiers plans de Sandra de Luchino Visconti (1965). En pleine soirée mondaine, ses yeux révèlent, dans leurs cernes noirs, une histoire ancienne et enfouie, hors champ : l’inceste avec son frère. Ils rappellent les portraits funéraires du Fayoum : ils portent une antique tragédie, on y lit le passé dérobé et les pensées tues. Visconti fait de Cardinale un portrait issu de l’opéra et de la peinture, un visage mythique. On comprend pourquoi elle a des rôles peu bavards : il s’agit d’aspirer le film dans les yeux et de le faire dériver hors du plan. Les cinéastes ménagent les moments d’apparition de la star jusqu’à travailler une présence éphémère.

Claudia Cardinale sur le plateau de Huit et demi de Federico Fellini (1963).

Claudia Cardinale sur le plateau de

Elle traverse le film comme un souvenir dans Huit et demi de Fellini (1963) et dans Violence et passion de Visconti (1974). Ces séquences esquissent juste un portrait d’elle, voilée, virginale. Elle n’est pas pour autant silencée, simple peinture, image de papier glacé ou présence éthérée. Sa force est à la mesure de son rire, rauque, déjà âgé, qui résonne dans Huit et demi, premier film où l’on entend sa vraie voix. La même année, dans Le Guépard de Visconti, au milieu du repas feutré, ce rire éclate, vulgaire et sans gêne, poussant les convives à quitter la table. Vérité de la jeunesse au milieu des chuchotis insensibles, il rend vivant le tableau, fait éclater la vie.

Sa force naît aussi de ses mains, qu’elle-même disait masculines. Dans La Jeune Fille à la valise, elles frappent l’homme qui la harcèle sur la plage pour le rejeter hors du champ ou s’en échapper. Cette force du rire et des coups est virilisée à outrance et volontiers exhibitionniste dans Les Pétroleuses (1971). Ici comme là, Claudia Cardinale n’apparaît cependant pas sauvage : c’est le jeu d’une femme révoltée, une force vitale, nécessaire et fondamentale. C’est aussi la force de partir sans qu’on tienne la main.

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Dans Sandra, elle n’a pas peur du noir et s’y enfonce. Dans Le Bel Antonio (1960), son personnage, presque mutique, « ange » selon son amoureux, s’échappe avant la fin du film pour vivre une autre vie : devenue image à travers la vitre d’une voiture, elle s’émancipe de la fiction sans crainte, détourne le récit sans regret ni colère. Celle qui ne voulait pas faire de cinéma et qui se sentira toujours étrangère à Hollywood disparaît, assurée.

Les rôles de Claudia Cardinale semblent ainsi concentrés sur son arrivée et son départ : elle apparaît au bout d’une heure dans Le Guépard et au bout de vingt minutes dans Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone (1968), deux des films les plus importants de sa carrière. Comme son personnage dans Cartouche de Philippe de Broca (1962) qui surgit au bout d’une demi-heure, elle semble avoir, dans le récit, une vie vagabonde et bohème.

La Jeune Fille à la valise débarque d’on ne sait où, mais cherche tout au long du film à redémarrer : tout tient encore à son départ, possible et retardé, conduisant à cette fin sublime sur le quai de gare. De même, Jill dans Il était une fois dans l’Ouest, à peine arrivée, refait déjà ses valises pour retourner à la Nouvelle-Orléans. Toujours tendue vers une autre vie, étrangère, elle se dirige sans crainte vers la sortie.

Théo Esparon

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