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Superman de James Gunn : Même pas cape

Superman de James Gunn (2025)

Superman de James Gunn : Même pas cape

ActualitésCritique

Publié le 11 juillet 2025 par Yal Sadat

Après le virage très sérieux et sombre de DC (The Batman, Joker…), le Superman de James Gunn marque un retour à l’enfance qui ressemble fort à un repli régressif, symptôme du retard qu’ont pris les films de super-héros et leur ambition « réparatrice ».

Superman s’écrase au milieu d’un champ enneigé, ventre à terre, face tuméfiée contre la glace. Sa respiration évoque un roucoulement malade, puis un sifflement s’échappe de lui. Le voilà ramené à la métaphore ornithologique qu’on lui accole souvent : « Là-haut, dans le ciel ! Est-ce un oiseau ? » Cette fois, on dirait bien que oui. Mais, loin d’annoncer une vision plus animale du personnage, le sifflement attire une autre sorte de bête. Un toutou à cape rouge galope dans la poudreuse et vient fêter son maître putatif, manière de faire démarrer son aventure en donnant le ton : tout, dans ce nouveau Superman dont le super-chien est l’omniprésente mascotte, sera digne d’un spot de pub pour des croquettes. On sait d’ailleurs que ces dernières sont marketées en flattant les goûts des enfants, comme le fait James Gunn avec cette version infantile de la franchise DC – à rebours des ruminations adultes bouillonnant sous les masques dans Man of Steel, Justice League, The Batman ou Joker.

Retour à l’enfance du mythe ? Après tout, pourquoi pas : l’âge adulte selon DC ressemblait parfois à un fantasme d’ado gothique. La neige du début pourrait suggérer un effort de table rase. Clark Kent et son double, sous les traits de David Corenswet, concentrent la naïveté propre à la figure – c’est par essence un nouveau-né face à l’humanité, doublé d’un grand gamin godiche à la rédaction où il travaille avec Lois Lane. Naïveté ici mise au carré, nous incitant à être aussi enfant que lui.

Las, l’interview que Lois exige de Clark afin de clarifier son rôle dans un conflit entre nations (fictives) trahit une ambition contraire : coller à l’actualité géostratégique la plus sérieuse. Le surhomme a-t-il bafoué le droit international et fait preuve d’ingérence dans la guerre livrée par la Boravie, alliée des États-Unis, à la population opprimée du Jarhanpur ? Quelle est la légitimité de ce faiseur de paix filant à la rescousse des Jarhanpuriens ? Le vieil ennemi Lex Luthor, roi de la tech au crâne lisse de grand baby boss, profite de ce doute pour jeter l’opprobre sur Superman. Le justicier se voit accusé d’intervenir dans le seul but de se constituer un harem de Boraviennes.

Superman de James Gunn (2025)

Superman de James Gunn (2025)

En résumé, Superman roule pour l’Ukraine et la Palestine, s’en va les défendre la bouche en cœur avant qu’un crypto bro (krypto-bro ?) technophile, libertarien et chauve lui savonne la planche en ajoutant son nom aux dossiers Epstein, en vue de mieux sponsoriser un dictateur mi-Poutine, mi-Netanyahou. Problème : une réalité alternative voyant un Elon Musk (patronyme très DC en soi) financer les massacres perpétrés par des amis de la Maison-Blanche n’a rien de très original.

L’homme qui vole au-dessus des lois en fourguant la paix mondiale, c’est désormais Trump, dont la stratégie en matière d’image a changé de camp. Élu une première fois sous les atours d’un Joker populiste, voire d’un Bane (méchant de The Dark Knight Rises) promettant de « prendre le pouvoir aux élites pour le rendre au peuple » – les memes comparant le milliardaire à un super-vilain avaient fleuri parmi ses propres supporters –, l’actuel président est revenu dans le costume de Superman, précisément. Celui d’un homme providentiel au visage maculé de sang, brandissant le poing en contre-plongée devant le Stars and Stripes. Comment, alors, faire de l’icône Superman la protectrice des territoires envahis, alors qu’elle est préemptée par un gouvernement qui humilie Zelensky et projette de changer Gaza en resort géant ? Gunn court après une actualité imagière plus rapide que lui.

Superman de James Gunn (2025)

Superman de James Gunn (2025)

La boussole morale (et esthétique) des films de super-héros semble affolée par cette redistribution des rôles. L’Amérique n’étant plus perçue, en dehors du camp MAGA, comme une âme pure parée des couleurs du fameux monde libre, le genre est contraint de renoncer au principe réparateur adopté dès les années 2000. Il s’agissait alors de panser les plaies ouvertes par le 11 Septembre, et de montrer non seulement l’opposition de deux blocs, mais la possibilité d’une troisième voie pour sauver le monde. Les héros rejetaient à la fois le terrorisme et la war on terror, personnifiant une puissance honteuse, durement réveillée de sa candeur fifties : à la fin de Captain America, l’avenger était décongelé dans le présent pour découvrir, hébété, que sa nation était devenue une technocratie next-gen corrompue, et que son bon vieux monde bipolarisé n’était qu’un décor d’après-guerre destiné à entretenir ses illusions (donc son patriotisme).

Depuis, l’imagerie trumpiste a ravivé ce décor-là, alors que les enjeux stratégiques sont moins binaires que jamais (Chine, Europe et Iran se partageant le masque du super-vilain aux yeux de Trump). Ce qui ne laisse d’autre choix à Gunn que simplifier l’équation, mettre les angoisses (inter)nationales à la portée des tout petits. D’où ce dessin animé humain, moins proche de Disney que des cartoons matinaux qui accompagnent les céréales. D’où aussi l’aberrant chien à cape, signe d’un repli régressif, d’une abdication devant un état du monde qui n’inspire plus Gunn.

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L’ex-scénariste du studio Troma n’est pourtant pas le moins respectable des artisans au service du super-héroïsme. Ici, il se cherche en vain une contre-imagerie, délire les échelles, reconduit son goût très bis pour les golems plus larges que hauts (Ultraman, héritier du King Shark de The Suicide Squad et des monstres de Troma) et esquisse les silhouettes comme si elles revenaient de la « Vallée de l’étrange » (comme on nomme l’inquiétante réalité qu’évoquent les cyber-simulations diverses), sans obtenir autre chose qu’une dérision flemmarde – fagoté comme un trio de musiciens baltes à l’Eurovision, le Justice Gang en fait les frais.

C’est dans la prison hi-tech de Luthor, où les cellules s’empilent au sein d’une structure dont le gigantisme miniaturise les détenus, alignés comme autant de figurines sur une étagère, que s’éclaire le projet : non pas rendre à Superman ses souvenirs et sa nature organique (vrai-faux sujet du film), mais le pétrifier dans un devenir de jouet animé par des marionnettistes adultes qui, face au chaos qu’ils prétendent représenter, préfèrent finalement jouer à coucou-caché.

Yal Sadat

 

 

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