
Éditorial HS N°6 – Les métamorphoses de Pedro Almodóvar
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Publié le 27 novembre 2025 par
Si Pedro Almodóvar a commencé à faire du cinéma au milieu des années 1970, au début de la Movida, ce mouvement underground effervescent et vivifiant qui naît dans les décombres du franquisme, c’est seulement à la fin des années 1980 qu’il s’est fait connaître en France. Sans généalogie évidente, son cinéma très expressif, très bigarré et plutôt transgressif, sur le plan sexuel comme sur le plan esthétique, n’a pas été immédiatement identifié par la critique française, en particulier dans les pages des Cahiers du cinéma. Il a fallu attendre 1988 et Femmes au bord de la crise de nerfs, en compétition à la Mostra de Venise, où il remporta le prix du meilleur scénario, pour qu’on s’intéresse de près à ce cinéaste qui proposait une comédie échevelée, très contemporaine, capable de capter des flux colorés, musicaux, émotionnels, très variés, sans lien avec le cinéma français, et même mondial, de cette période. Très vite, Talons aiguilles, film au budget plus conséquent, marque un deuxième temps de reconnaissance qui sera suivi, quelques années après, par des films majeurs, comme Tout sur ma mère et Parle avec elle, qui assoient définitivement sa réputation.
Avec le temps, cette œuvre issue du terreau de l’underground n’a cessé de s’étendre de manière proliférante, en mélangeant les genres, passant de la comédie au mélodrame, brouillant constamment les cartes entre des tonalités souvent opposées, avec une maestria unique dans le cinéma contemporain. À partir du milieu des années 1990, et plus particulièrement de La Fleur de mon secret, une certaine gravité apparaît au cœur de son cinéma, comme si, en vieillissant, Almodóvar éprouvait un besoin impérieux d’explorer d’autres modes de narration, d’autres possibilités émotionnelles, plus conformes à ses préoccupations du moment. Sans perdre son excentricité légendaire, il est donc parvenu à faire évoluer son style, dans le sens d’une plus grande maturité qui s’affirme, de film en film, jusqu’à son dernier à ce jour, La Chambre d’à côté, premier long métrage réalisé en anglais (mais en grande partie tourné en Espagne), dans lequel la mort est omniprésente et qui s’inscrit parfaitement dans le monde largement désenchanté d’aujourd’hui. Narrateur virtuose, styliste incontestable, le chien fou des années 1970-80 s’est peu à peu métamorphosé en un cinéaste central, universel, capable de toucher des publics très variés.
Ce numéro hors-série a été conçu comme une exploration, à la fois rétrospective et très contemporaine, des différents aspects du travail de Pedro Almodóvar, un cinéaste que la revue a accompagné sans faillir depuis 35 ans. La reprise de quatre entretiens importants, donnés à différentes époques, permet de mesurer l’intelligence et la précision d’un artiste dont la maîtrise croissante n’a jamais bridé l’imagination. En fin de numéro, une filmographie commentée qui intègre tous ses longs métrages donne à voir l’évolution très singulière d’un réalisateur qui a su rester fidèle à lui-même, tout en épousant un mouvement perpétuel. Entre ces deux blocs, nous avons eu envie d’intégrer des motifs et des thématiques majeures. Ainsi, nous nous arrêtons sur sa cinéphilie, sa relation à la musique, à la danse, à la science du récit, ou encore sur la manière dont il a abordé, avec une frontalité rare, les thématiques queer, dont il a été l’un des pionniers à une époque où elles étaient pratiquement absentes du cinéma mainstream. Quelques personnalités sont venues enrichir ces approches multiples : le cinéaste Alain Guiraudie, admirateur du cinéma d’Almodóvar, le musicien Caetano Veloso, dont nous traduisons un beau texte à propos de celui qui est devenu son ami, ou encore Paul B. Preciado, qui revient sur l’importance du cinéaste, notamment quant à la représentation des personnages transgenres. Sans oublier Frédéric Strauss, ancien rédacteur des Cahiers, auteur d’un précieux livre d’entretiens, qui trace un portrait du cinéaste en action. L’ensemble constitue une mosaïque vivante et multiforme, à l’image du cinéma si turbulent, généreux et peuplé de Pedro Almodóvar.
Thierry Jousse et Marcos Uzal
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