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Réalismes sri-lankais au Festival des 3 Continents

Les Filles de Sumitra Peries (1978).

Réalismes sri-lankais au Festival des 3 Continents

ActualitésFestival des 3 Continents

Publié le 21 novembre 2025 par Pierre Eugene

Malgré les violentes coupes budgétaires de la région Pays de la Loire, le Festival des 3 Continents de Nantes tient vaillamment ses ambitions de défrichage du cinéma non occidental. Outre une sélection officielle dont nous aurons l’occasion de reparler, une intégrale Ang Lee et un hommage à Youssef Chahine, cette 47e édition propose (du 21 au 29 novembre) de découvrir le cinéma sri-lankais en une dizaine de films.

Lester James Peries (1919-2018) reste le plus célèbre représentant d’une cinématographie méconnue. En 1968, Henri Langlois souhaitait déjà projeter ses films (mais « l’affaire Langlois » l’en empêcha), qui circulèrent dans les festivals et furent pour certains distribués en France. Ressorti en 2009 (Cahiers no 645), Changement au village (1963), qui l’a révélé, voit une jeune fille de la bourgeoisie campagnarde empêchée d’aimer un modeste instituteur qui, monté à la ville, capitalise, tandis que le domaine prospère de l’amoureuse tombe progressivement en ruine. Cette chronique sociale de la désolation, à la violence rentrée, étonne par ses champs-contrechamps excentriques qui vont dans le dos des personnages, autant que ses brusques changements de rythme : ainsi d’une belle séquence d’exorcisme qui inscrit une dynamique de rêve, ou de cette tache de lumière mouvante sur un mur en forme de méduse étrangement raccordée à l’orchestre du second mariage de l’héroïne. Ces bouffées d’irréalité pensives et fabulatoires au cœur du drame social se retrouvent développées dans Le Trésor (1972).

Sumitra Peries (1935-2023), son épouse et monteuse, fut aussi la première femme cinéaste du Sri Lanka, et une grande (voir Cahiers no 757). Son premier film, Les Filles (1978), restauré et projeté à Cannes Classics en mai dernier, observe la vie gâchée d’une modeste adolescente, Kusum, aide-ménagère chez sa tante plus fortunée, dont l’amour pour son cousin est étouffé par l’ambition familiale. Boursière au lycée, elle abandonne ses études alors que le cousin devient son professeur, et que sa sœur, montée à la ville pour être mannequin, est revenue fille-mère. Un rare moment de bonheur voit Kusum œuvrer à la machine à coudre, en miroir du talent de monteuse de Peries, qui filme par touches délicates : les personnages masqués par des feuillages, des portes, des petits miroirs, des tours de papiers découpés, avec zoom et reculs sur leurs visages, exposant pudiquement leur retrait, leur passage à l’ombre du renoncement.

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Face à ces deux cinéastes de la chronique sociale lancinante, Dharmasena Pathiraja (1943-2018) s’inscrit au contraire comme un agitateur politique, avec des fictions à l’incroyable force documentaire dont la liberté solaire et inventive, la confiance dans le présent et les ruptures de tons évoquent À bout de souffle ou Accattone. Après avoir filmé les révoltes de sa génération en 1971, il réalise Ahas Gauwa en 1974, sur un groupe de jeunes chômeurs errant dans la ville, insouciants et joueurs, se frottant à la marginalité jusqu’à mal finir, avec pour dernière note d’espoir leur inclusion dans une manifestation de grévistes.

Les guêpes sont là (Bambaru Avith) de Dharmasena Pathiraja (1978).

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Bambaru Avith (1978), tourné au bord de la mer, confronte un écosystème de pêcheurs à l’arrivée d’un groupe de jeunes urbains, bouleversant les habitudes économiques et morales, provoquant l’hostilité jusqu’à la mort (et là, le laïus communiste d’un jeune baba cool ne trouvera que le silence). C’est dans la sensualité de ses acteurs, dans l’énergie magnétique qui circule entre eux que se déploie le vivant lyrisme du cinéaste.

Comme dans ce plan magnifique de Bambaru Avith où une fille s’abandonne à un garçon : la caméra l’observe allongée, encore habillée, puis s’approche alors de son visage jusqu’au flou, panotant silencieusement sur son corps, jusqu’à revenir sur le visage tressaillant. Un paysage intérieur brouillé, qui fait écho à tous les autres paysages, de soleil ou de nuit noire, que révèlent l’errance active des personnages, boussoles égarées dans une réalité imprenable.

Pierre Eugène

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