
L’Arbre de la connaissance d’Eugène Green : Le Lisboète et ses bêtes
ActualitésCritique
Publié le 19 novembre 2025 par
Si L’Arbre de la connaissance (A Árvore do Conhecimento), avec ses nombreuses blagues sur le tourisme, les réseaux sociaux, les nouvelles causes politiques et autres signes d’époque, peut être vu comme une satire des temps modernes, il faut déjà lui reconnaître de prendre le chemin contraire à celui qui domine actuellement dans ce registre (Ruben Östlund, par exemple) : il chemine du cynisme vers l’humanisme.
Le film se met d’emblée dans les pas de Gaspar, jeune Lisboète découragé par la vie citadine et par une famille en décomposition. S’initie alors un récit picaresque dans lequel Gaspar tombera d’abord entre les mains de l’Ogre (Diogo Dória), l’un des plus grands acteurs de l’histoire du cinéma qui réussit en quelques grimaces à alléger son rôle, dont le pouvoir est de transformer les touristes, caricaturés en attroupements d’idiots à casquette, en animaux à viande. Deux d’entre eux, devenus ânesse et chien, accompagneront Gaspar dans sa fuite. Avec la frontalité et le sens de l’épure de sa mise en scène et un humour potache, volontiers boomer (terme dont le film n’hésiterait pas à se moquer, en bon boomer), Green prolonge le contraste grinçant de certains de ses derniers films qui rend difficile toute réponse empathique.
Filmer un présent méprisé depuis la perspective d’un idéal révolu, d’une pureté qui n’est plus à l’œuvre : comment échapper à cette perspective stérile ? La solution trouvée par Green est simple comme un conte : tourner son regard vers le passé, quitte à l’évoquer comme une incantation fantasmagorique. Gaspar et ses camarades poilus trouvent refuge dans la demeure d’une reine, un château qui comme Brigadoon semble exister dans une faille temporelle. Elle s’avère être la vraie Marie Ire qui juge et décapite tous les soirs une poupée représentant son ennemi et celui de la noblesse, le Marquis de Pombal. Sa détermination contre-révolutionnaire, à la fois ridicule et monstrueuse, en devient touchante.

Le picaresque et le conte fantastique glissent de plus en plus dans la magie, sorcières (Leonor Silveira), vieillardes (Teresa Madruga) et femmes-serpent nourrissent le film de dialogues sur la nature, l’économie, la mort, l’histoire, et lui donnent le ton naïf, comique et étrangement profond d’une métamorphose. Il y a un vrai paradoxe dans cette façon de trouver une ouverture au monde par l’aristocratie. Conte oblige, la résolution est simpliste : c’est en commençant à regarder les troupeaux de touristes comme des individus que film et personnages finissent par accepter l’évolution du monde.
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Même en continuant de se moquer pathétiquement des causes contemporaines (« Droit au mariage pour les chiens LGBT », sic), le film apprend à les respecter en tant qu’elles sont le fruit d’histoires et de raisons intimes (le sbire de l’Ogre, dégoûté de son passé, devient antispéciste). La simplicité peut être bouleversante. En aidant une touriste allemande à se relever, Gaspar échange quelques mots avec elle, sans qu’ils se comprennent. La frontalité du cadre de Green n’a jamais autant fait office de lien. La touriste et le jeune homme du cru se retrouvent dans une forme de fragilité des corps incapables de communiquer par la parole. Et, sans crier gare, sous ses allures idéalisées, L’Arbre de la connaissance s’affirme alors comme un grand traité de l’impureté.
Fernando Ganzo
L’ARBRE DE LA CONNAISSANCE (A ÁRVORE DO CONHECIMENTO)
Portugal, France, 2025
Réalisation, scénario : Eugène Green
Image : Raphaël O’Byrne
Son : Henri Maïkoff, Jocelyn Robert, Stéphane Thiebaut
Montage : Laurence Larre
Décors : Arthur Pinheiro
Costumes : Patrícia Dória
Interprétation : Rui Pedro Silva, Ana Moreira, Diogo Dória, João Arrais, Leonor Silveira, Maria Gomes, Teresa Madruga
Production : O Som E A Fúria, Le plein de super
Distribution : JHR Films
Durée : 1h41
Sortie : 19 novembre
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