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Marseille : le théâtre ou la vie

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Marseille : le théâtre ou la vie

ActualitésFestivalsFIDMarseille - Festival International de Cinéma de Marseille

Publié le 19 septembre 2023 par Alice Leroy

FESTIVAL. L’éclectisme grandissant du FIDMarseille a provoqué, du 4 au 9 juillet, le tremblement de quelques plaques tectoniques du cinéma et la découverte d’un grand premier film, celui de l’Autrichienne Martha Mechow.

Peu de festivals peuvent réunir dans une même édition le dandy fitzgéraldien de la comédie américaine Whit Stillman, la plasticienne et vidéaste Laure Prouvost et ses œuvres si organiquement surréelles, et l’émouvant fantôme de Paul Vecchiali, célébré à travers sept films présentés par ses collaborateurs dans une programmation initiée avec le cinéaste avant sa disparition en avril dernier. Chacun est libre d’inventer entre ces trois-là des correspondances secrètes – le théâtre, la vie fondue dans la fiction –, mais la fonction d’un festival, dirait-on, n’a jamais été de bâtir des systèmes, plutôt de les renverser. Cet art de la tangente a eu cette année ses figures de proue, comme Declan Clarke, qui trame son histoire familiale en Irlande du Nord sur fond de thatchérisme avec la lecture marxiste d’un conte des frères Grimm dans le génial How I Became a Communist, ou bien le Grand Prix de la compétition internationale, Background de Khaled Abdulwahed, méditation sebaldienne sur l’éloignement temporel aussi bien que géographique entre le cinéaste, réfugié en Allemagne, son père resté en Syrie, et leurs deux exils à soixante ans de distance. Comme dans son précédent court métrage, Backyard (2018), le travail sur l’image photographique d’Abdulwahed cherche à conjurer l’absence, tentative émouvante et dérisoire de faire coïncider les espaces et les temps, de réconcilier la figure et le fond, comme si ces jeux d’échelle parvenaient à contrarier l’effacement d’une vie.

Mais la véritable découverte de cette édition, injustement oubliée par le palmarès, est le premier film d’une jeune cinéaste autrichienne, Martha Mechow, Die Ängstliche Verkehrsteilnehmerin (ou, selon son titre international, Losing Faith), récit picaresque et féministe qui liquide la figure maternelle dans une jubilatoire scène d’ouverture avant de s’attacher aux pas de Flippa, partie à la recherche de sa sœur Furia dans une communauté de sorcières en Sardaigne. Elle y découvre un monde où les femmes vivent sans travail ni hommes, et ont des enfants dans le seul but de leur apprendre à devenir des êtres improductifs. L’ironie féroce du film doit autant aux actrices – Selma Schulte-Frohlinde dans le rôle de Flippa, Ann Göbel dans celui de Furia, ou encore Inga Busch en improbable « mère supérieure » qui n’hésite pas à sortir une tronçonneuse pour séparer l’enfant Jésus de la Vierge Marie – qu’à la mise en scène de Mechow, intégrant les mines déconfites des estivants locaux confrontés à ce sabbat démoniaque et décourageant toute réduction idéologique par d’hilarantes trouvailles, comme lorsque Flippa, un appareil dentaire dans la bouche, explique sa lecture de Jane Austen à un jeune homme. La cinéaste raconte s’être inspirée de l’œuvre de Charlotte Salomon, Vie ? ou théâtre ?, à laquelle son film emprunte sa structure narrative et ses couleurs lumineuses. De la peintre allemande, elle aura aussi retenu la vitalité exaltante propre à convertir la folie et le désespoir en puissance expressive.

Observer une petite troupe de jeunes gens inventer un théâtre existentiel pour combler le néant politique des mondes de l’art (Riccorda ti che un film comico de César Vayssié), ou bien laisser la vie déborder des gestes anodins pour se raconter l’air de rien (Dans le silence et dans le bruit de Clément Roussier et Hadrien Mossaz, Grand Prix de la compétition française) : au FID cette année, il n’y avait plus lieu de choisir entre vie et théâtre.

Alice Leroy

Article à retrouver dans le n° : 801

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