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Peter Watkins, solitude du coureur de fond

Peter Watkins dirigeant l’un des acteurs des Gladiateurs (1969)

Peter Watkins, solitude du coureur de fond

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Publié le 6 décembre 2025 par Alice Leroy

Peter Watkins est mort le 30 octobre à 90 ans dans une petite commune de la Creuse où il s’était établi après des années de pérégrinations de la Grande-Bretagne à la Suède, en passant par les États-Unis. Cet éternel jeune homme en colère laisse une œuvre colossale derrière lui.

La Bombe (The War Game), seul film qui valut à Peter Watkins un Oscar, fut achevé en 1966, un an après que Guy Debord eut déposé le brevet d’un jeu de guerre inspiré par les Kriegsspiel de l’armée prussienne au XIXᵉ siècle et destiné « au courant situationniste afin qu’il s’exerce à la dialectique ». Le film de Watkins, simulation des conséquences d’une attaque nucléaire sur l’Angleterre, emprunte au reportage télévisé son esthétique sur le vif et au film d’anticipation sa froide narration d’une dérive autoritaire de la démocratie parlementaire.

Mais s’il partage avec Debord le goût de l’anachronisme et de la critique des médias, Watkins s’avère surtout un franc-tireur dont les films entendent dénoncer le spectacle de ce qu’il appelle les « industries audiovisuelles de masse » (Hollywood et la télé), en sabotant leurs structures narratives et stylistiques sur leur propre terrain. Voilà comment, de La Bataille de Culloden (1964), du nom de la confrontation dans les Highlands en 1746 entre la rébellion jacobite et le pouvoir britannique protestant, à La Commune (2000), tous deux financés par des chaînes de télévision, le flux de la retransmission continue (« l’horloge universelle ») se trouve parasité par une caméra portée à hauteur des personnages et la parodie anachronique de médias télévisés transposés dans le passé.

Non seulement ces films deviennent des agents de l’histoire en offrant un autre point de vue sur les événements qu’ils mettent en scène, mais ils constituent eux-mêmes un événement en éclairant le présent sous un jour nouveau.

Le modèle du jeu de guerre informe encore Les Gladiateurs (1969), sorte d’Hunger Games à l’heure de la guerre froide, et le beaucoup plus réussi Punishment Park (1971) où, prenant au sérieux une loi appliquée par Nixon face aux mouvements protestataires, Watkins filme le calvaire de jeunes gens pris en chasse par les forces d’intervention de la police dans une course mortelle au cœur du désert californien.

La Bombe de Peter Watkins (1966).

de Peter Watkins (1966).

S’il ne fait pas toujours dans la finesse, on peut lui reconnaître un certain talent pour imaginer des allégories politiques qui n’ont pas pâli avec le temps. Figures exemplaires de son cinéma, les adresses à la caméra, regards qui viennent désigner le dispositif de tournage ou interviews improvisées qui débordent la diégèse pour solliciter le point de vue des acteurs – presque toujours non professionnels –, ouvrent des parenthèses brechtiennes dans la trame du montage, comme dans Edvard Munch, la danse de la vie (1973), où le portrait de l’artiste, enrichi de ses accointances avec les milieux anarchistes et libertaires de l’époque, se mue irrésistiblement en autoportrait du cinéaste en paria.

On se souvient que, pour La Commune, le cinéaste composa respectivement le casting des versaillais et des communards en publiant des petites annonces dans Le Figaro et en allant donner des conférences à l’Université Paris 8. À La Parole Errante, où Armand Gatti avait accueilli le tournage, le printemps 1871 se rejouait au présent, dans une frénésie aux airs d’insurrection qui se prolongeait hors du plateau.

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Watkins, formé au théâtre amateur dans sa jeunesse anglaise, savait si bien communiquer le feu de la révolte qu’il dut composer avec une contestation de sa position d’auteur par une partie de l’équipe. La forme même du film devenait indissociable de ses conditions d’élaboration, ses plans-séquences se coulant entre les insurgés sur les barricades pour mesurer les distances entre personnages et acteurs et conjuguer au présent les colères populaires.

Watkins, solitaire dans la foule, orchestrait le chaos, laissait chacun et tous écrire leur propre histoire. Parmi les visages juvéniles des insurgés, ceux d’Arthur et Tom Harari, alors étudiants, et d’autres qui, peut-être, éprouvèrent leur propre désir de cinéma à travers celui, inextinguible et furieux, de cet homme qui les avait tous emmenés dans son rêve.

Alice Leroy

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