
Robert Redford : Sundance Boulevard
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Publié le 26 novembre 2025 par
Mort le 16 septembre 2025 à l’âge de 89 ans, l’acteur et réalisateur américain a cherché à associer pendant toute sa carrière, sans toujours y parvenir, des convictions progressistes à la construction critique de sa propre image.
Au début de Pastorale américaine (1997), Philip Roth décrit un personnage dont l’apparence et la probité nourrissent le fantasme d’intégration des familles juives américaines. Celui qu’on surnomme le Suédois est un « garçon posé » au visage « magique » et « marmoréen », « masque viking impassible et mâchoires carrées d’un blond aux yeux bleus ». « Fallait-il voir dans sa sobriété l’indice d’un combat intérieur acharné contre son propre narcissisme, que la communauté tout entière abreuvait d’amour ? », se demande l’écrivain. La sobriété charismatique de Robert Redford à son apogée se confond avec ce stéréotype.
Daisy Clover de Robert Mulligan (1965), son premier personnage d’envergure, un pervers manipulateur, est peut-être la seule fois de sa carrière où il jouera la noirceur. Au contraire, dans La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn (1966), il prête forme au tragique politique de l’Amérique de son époque : corps jeune à la Kennedy qui, bouc émissaire désigné, finit abattu lâchement comme Lee Harvey Oswald. Mais étrangement, lorsqu’il joue son double fitzgéraldien dans Gatsby le magnifique (1974), la rencontre n’a pas lieu, tant il évide Gatsby jusqu’à la désincarnation.
Plus généralement, dans les films qui l’ont rendu célèbre, la légèreté de son jeu conduit à une forme de pâleur. Face à Paul Newman, dans Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 1969) et dans L’Arnaque (même réalisateur, 1973), il paraît fade, sans arrière-fond, et il est moins habité que Dustin Hoffman dans Les Hommes du président (Alan J. Pakula, 1976).
C’est grâce aux sept films tournés pour Sidney Pollack qu’il modèle et perfectionne sa persona : Jeremiah Johnson (1972) joint une grande densité physique à un jeu laconique et comportementaliste (qu’il ne retrouvera que dans All Is Lost de J.C. Chandor en 2013) ; Les Trois Jours du condor (1975) transforme sa retenue en une intensité angoissée, mais son romantisme se dilue jusqu’à écoeurer dans Out of Africa (1986).
Pourtant, il n’a eu de cesse d’opposer le mythe et la réalité, la fabrication d’une image et le vide mélancolique de l’homme qui lui donne ses traits. Votez McKay (1972) se développe sur l’écart insurmontable entre la personnalité privée d’un homme politique, ambitieux sans être immoral, et l’imagerie publicitaire grâce à laquelle il sera élu et qui le phagocyte. « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? », déclare en conclusion McKay à son directeur de campagne, la voix couverte par les hurlements de supporters en délire. Le dernier plan fixe présente une chambre d’hôtel, immaculée mais vide, symbole dérisoire d’une utopie factice.
Dans La Kermesse des aigles de George Roy Hill (1975), l’aviateur qu’il joue s’invente des actes d’héroïsme pour exister, tandis que Le Cavalier électrique (1979) se construit autour de la quête de rédemption d’un champion de rodéo à la retraite, réduit à gagner sa vie dans un costume orné d’ampoules électriques.
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Alors que ses congénères Clint Eastwood, Paul Newman et Warren Beatty ont fondé les films qu’ils ont réalisés sur leur corps, y affrontant même crûment leur vieillissement, Redford se met au contraire en retrait. Dans son premier, Des gens comme les autres (1980), il prend pour tête d’affiche un acteur qui ne lui ressemble pas du tout : Donald Sutherland, trouble et inquiétant, au visage dissymétrique. Il n’apparaît pour la première fois que dans son cinquième film, L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux (1998), en garant d’un rapport édénique à une nature tellement aseptisée qu’elle en est déréalisée : son engagement précoce envers l’écologie se marie désormais à une imagerie obsolète.
De manière analogue, le Festival de Sundance, qu’il a considérablement renforcé, s’est éloigné de la promotion d’une forme d’indépendance esthétique pour devenir une passerelle vers l’industrie hollywoodienne. Sa nostalgie correspond davantage à un compromis entre un progressisme résolu et le culte d’un espace américain éternel qu’à une déchirure du temps ou de son image. Celle-ci ne se produit que lentement, par touches, presque par effraction, comme dans Sous surveillance (2013), qu’il réalise : il y dresse le bilan amer de l’engagement politique et de ses résultats.
Vers la fin de The Old Man and the Gun de David Lowery (2018), il assiste à une projection de Macadam à deux voies. Ses pleurs devant les images de l’acteur Warren Oates sonnent comme la plainte douloureuse que Redford s’est peut-être trompé de modernité.
Jean-Marie Samocki
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