
« Si Guitry m’était conté » : 7 films de Sacha Guitry restaurés
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Publié le 26 novembre 2025 par
Le Comédien, chef-d’œuvre autoréflexif de 1948 que Sacha Guitry tira de sa pièce de 1921, faisait partie des onze ressorties de 2023. Parmi les sept titres de cette nouvelle salve, Deburau (1951, pièce de 1918) en constitue le pendant indispensable, et l’épure.
À la petite salle foraine des Funambules où se produit le mime Deburau succèdent deux huis clos plus enserrés encore : le boudoir de la maîtresse du mime (Lana Marconi), coulisse du désamour à la blancheur trop franche, et la cuisine grise où Deburau, sept ans après le départ de ses femme et maîtresse, déprime auprès de son fils adolescent (Michel François).
Le film n’est pas moins autobiographique que Le Comédien : c’est en jouant Pierrot fils face à Lucien que Guitry débute sur les planches en 1890, et c’est cette pièce que le père, brouillé avec lui depuis treize ans, choisira pour revenir le voir et renouer. De ce premier rôle muet, Guitry précisait dans ses Mémoires : « Jouer n’est pas tout à fait exact. J’ai figuré dans une pantomime. » Dans Deburau, son patron lui rappelle qu’il l’avait embauché tout jeune pour « figurer », et le cinéaste se saisit de la stylisation du noir et blanc pour figurer – aux deux sens du verbe, représenter et jouer anonymement et sans dialogue.

Cette victoire du fard sur la chair, du masque sur l’ego, commence dès le premier acte : bien qu’auréolé de succès, le mime rejoint sa troupe l’air détaché, affecté ni par la ribambelle d’admiratrices qui se pressent, ni par les éloges dans le journal. Le médaillon portatif de son épouse, qu’il sort devant ses fans, semble servir d’écran à ses traits, lui autoriser une reposante neutralité. Quand un journaliste lui demande de raconter sa vie, il se décrit en enfant de la balle au costume délavé, puis en « Pierrot mélancolique, et qui fait semblant d’être gai – comme il fait semblant d’être blanc » (étrange écho au coin du deuxième acte, la domestique de sa maîtresse apparaît en blackface).
Cet auto-effacement qu’on aura trop tôt fait de désigner comme une tartufferie relève d’un questionnement sur l’hérédité (au centre de Mon père avait raison, 1936) qui se résout par une transmission dans la douleur, une pass(at)ion père‑fils. D’abord rétif à ce que son « petit » monte sur scène sous leur nom, Deburau comprend qu’il doit mettre en scène lui-même ce vol patronymique. Dans l’ample manche du Pierrot, le film orchestre alors un savant jeu de caches.
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Le médaillon de l’épouse, comme celui de la maîtresse, seront éclipsés par un médaillon du fils. Celui-ci sera le seul à être non plus seulement encadré, mais touché. Dans un geste magnifique, quand Deburau accepte enfin d’enseigner son art à son fils, il enduit à la main le visage du garçon de fard blanc. Cette caresse experte annule le terrible et long facepalm qu’il avait réservé, accablé, à l’aveu du jeune homme sur sa vocation.
Dernier cache, dernier baptême : un prompt tomber de rideau vient dérober au public la médiocrité du vieux mime diminué, remonté sur scène pour la gloire mais hué. « Le fil s’était cassé », explique le régisseur. Plus tard, entendant hors champ le bonimenteur vanter son fils qui lui succède et, dit la réclame, le surpasse, sa posture est celle d’une marionnette dont on a coupé les fils – un pantin exsangue, mais encore capable d’une étreinte finale, cadrée comme une anti-pietà.
Charlotte Garson
Désiré (1937), Les Perles de la couronne (1937), Quadrille (1938), Remontons les Champs‑Élysées (1938), La Malibran (1944), Deburau (1951), Si Versailles m’était conté… (1954).
Versions restaurées 4K en salles le 5 novembre (rétrospective à la Cinémathèque française, Paris, jusqu’au 30 novembre).
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