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Sentimental Value de Joachim Trier

© Cahiers du Cinéma
20 mai 2025 à 18:06

Sentimental Value de Joachim Trier

Trier la maison

La « valeur sentimentale » du film de Joachim Trier est celle que deux sœurs accordent à leur maison familiale dont l’héroïne Nora (Renate Riesve, primée à Cannes en 2021 pour Julie en 12 chapitres) avait fait la narratrice d’une rédaction marquante dans sa scolarité. Très vite, l’idée d’un dispositif à la Here de Robert Zemeckis (raconter l’histoire des habitants successifs d’une maison) est escamotée au profit de la prolifération d’autres scènes : celle du théâtre où Nora fait carrière avec un succès menacé par de soudaines crises d’angoisse, et celle à venir du plateau de cinéma où le père des deux femmes, cinéaste, propose à Nora de participer au film qui relancerait enfin son activité artistique de septuagénaire ringardisé.

Sa demande, au moment de la mort de sa femme divorcée, déstabilise la fratrie : désormais seul propriétaire de la maison, il semble aussi s’approprier l’histoire familiale, alors qu’il a déserté le foyer quand ses filles étaient enfants. À l’opposé de Dogma95 qui, il y a trente ans, déboulonnait les pères avec moult secousses, la manière « trierienne » consiste à décrire la tristesse insidieuse des conflits déminés, fluidifiés en larme à l’œil insistante, des pétages de plomb convertis en fond dépressif. Trier est tchéchoviste : un stakhanoviste de la douceur.

Mais la « valeur sentimentale » se pose en général pour le cinéma du Norvégien désormais abonné de la compétition : mettre en scène des personnages émus suffit-il à émouvoir ? Négligeant les ponts possibles avec les pièces que joue Nora et les recherches archivistiques de sa sœur, Trier mise tout sur l’humeur (les ballades pop-folk insistantes qui ouvrent et ferment le film). Trier accumule les échanges en champ-contrechamp entre sœurs et entre chacune d’elles et le père, fouillant les traits des acteurs, sûr que la psychologie possède une « valeur » à la fois existentielle et esthétique. On le sent convaincu de trouver encore dans le visage, unité originelle du cinéma, la transcendance athée qui manque. « Prier n’est pas s’adresser à Dieu, c’est exprimer son désespoir » : répétée au cours du film, cette phrase est à entendre en remplaçant « prier » par « tourner ».

Mais la séquence du film finalement réalisé par le père vient souligner que ce volontarisme des émotions tient de la méthode Coué. La scène a la même texture que le reste de l’étoffe fictive : sentimentale mais dérythmée, offerte au seul salut de la sincérité des intentions.

Charlotte Garson

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