Actualités, Critique, En compétition 2025, Festival de Cannes 2025L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho
L’espion qui venait du chaud
Il y avait de quoi craindre la promesse « cinéma de genre » de L’Agent secret, tant Bacurau (2019) réduisait les codes narratifs du western et du film d’action à un manichéisme strictement discursif. Mais Kleber Mendonça Filho fait ici le contraire : se déroulant dans les années 1970, L’Agent secret suit un universitaire menacé par la dictature pour des raisons d’abord sombres et prend du polar ce qu’il a de plus éclaté, incohérent, déviant, se permettant les fausses pistes, excursions fantastiques et autres détours cauchemardesques. L’idée est simple, mais difficile à exécuter : un pays comme le Brésil, a fortiori en temps de dictature, est impossible à raconter. Et la beauté du film tient à sa façon de confondre les fausses pistes et les éléments clés pour la compréhension. Pas dans le sens où on ne saurait pas les distinguer, mais où les uns ne pourraient pas exister sans les autres, à l’image de cette séquence d’ouverture où le protagoniste (Wagner Moura) vit une rencontre tendue avec la police dans une station de service devant la présence d’un cadavre posé là comme un résidu en décomposition, scène sans conséquence dans le récit mais qui le hante autant que le destin du héros. Si le festival de Cannes n’est surtout pas la maison du spectateur attentif, les salles abondant en corps fatigués et en yeux basculant inévitablement dans la sieste, il y avait dans cette séance une forme de joie à s’abandonner, à laisser emporter sa conscience dans la complexité où les personnages eux-mêmes naviguent, entre faux noms, rencontres tordues avec la justice et le pouvoir, rassemblements de persécutés, labyrinthes bureaucratiques et fusillades. Si le cœur de la trame se déroule en plein carnaval dans l’état du Pernambouc, ce n’est pas par recherche d’exotisme ou volonté d’ajouter de la confusion à la confusion : la fin du film ôte petit à petit son déguisement, le montage dévoilant de façon de plus en plus visible un présent qui montre sa tête par la porte du récit et qui regarde ce passé sans le comprendre. Revoici Moura déguisé en docteur, fils du protagoniste, incapable lui-même d’en dire plus sur des événements dont il ne saurait tirer le fil dans un pays changeant constamment d’habits le corps meurtri de son histoire.
Fernando Ganzo
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