
Rumours (Rumeurs) de Guy Maddin, Evan Johnson, Galen Johnson | Fiche film
Hors compétition 2024
Publié le 8 mai 2024 par La rédaction
L’avis de la rédaction
Olivia Cooper-Hadjian
Charlotte Garson
Thierry Méranger
Marcos Uzal
Fiche technique
Réalisation : Guy MADDIN, Evan JOHNSON, Galen JOHNSON
Scénario/dialogues : Evan JOHNSON
Image : Stefan CIUPEK
Montage : Galen JOHNSON, Evan JOHNSON, John GURDEBEKE
Casting :
Cate BLANCHETT
Roy DUPUIS
Nikki AMUKA-BIRD
Charles DANCE
Takehiro HIRA
Denis MÉNOCHET
Rolando RAVELLO
Zlatko BURIC
Alicia VIKANDER
Pays : Canada, Allemagne
Production : Buffalo Gal Pictures, Maze Pictures GMBH (Munchen), Square Peg, Thin Stuff Productions, Walking Down Broadway
Distribution :
Durée : 118 minutes
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Actualités, Festivals, Hors compétition 2024
Furiosa: une saga Mad Max de George Miller et Mégalopolis de Francis Ford Coppola
A day at the Opera
Thunderbolt and lightning, very very frightening, dit la chanson de Queen. On avait peur, de fait, que l’orage gâche les premiers jours du festival. Le jeudi 16 mai, on s’est contenté de quelques bourrasques et d’une battle d’opéras entre vieux maîtres, se regardant en chiens de faïence d’un bout à l’autre de la journée. Matin : George Miller et Furiosa. Fin d’après-midi : Coppola et Megalopolis, qui a divisé les Cahiers. Grand écart impossible, impensable ? Pas dans le vortex festivalier, où l’adjectif « opératique », dont la critique use et abuse, sonne soudain juste en cette édition inaugurée par Napoléon en personne. Plus fort, plus grand, plus fou, c’était le mot d’ordre.
Furiosa, plus fou que Mad Max: Fury Road, ce miracle de 2015 dont l’affiche décrétait « seuls les fous survivent » ? En tout cas pas moins opératique, donc, et d’une puissance tout aussi hallucinante, cette fois moins due à la sensation d’un grand sauvetage artistique du blockbuster qu’à celle d’un coup de pinceau rageur jeté sur le Wasteland comme sur une toile enflammée, avec une énergie encore plus dépressionnaire. Arrachée à sa terre d’abondance, Furiosa traverse le désert et le champ, voudrait subsister et venger sa mère ; mais dans ce monde en lambeaux, des hommes puissants la traitent comme un outil ou une monnaie, avant qu’elle ne se rebiffe pour tracer sa propre route, sans piper mot, dans un vacarme de V8, de hululements guerriers, de clinquements et d’explosions de chevrotine. Une Eurydice muette donc, ainsi qu’une Médée en exil, bref, une héroïne d’opéra dont ne sortirait pas une seule vocalise – c’est le film qui se charge de déployer autour d’elle un concert de tôle et de rouille.
Mais où file Furiosa comme ça ?, lui demande un allié en cours de route. Nulle part, elle fonce à nouveau vers les enfers de Fury Road, éternel retour en arrière, droit dans le vide. Paradoxalement, l’exaltation qu’on retire du show provient de ce principe mélancolique : la course ne débouche sur aucun salut. Ou plutôt si : Furiosa bat les hommes sur leur terrain, mais pour mieux accéder à leur statut de fantoches keatoniens caracolant vers l’abysse, condamnée comme eux à viser des points de fuite jamais atteints, n’ayant que la folie pour survivre. Drôle d’empowerment, plus nihiliste que celui de Barbie et consorts, bien plus beau surtout dans son désespoir : une femme acquiert un corps d’action, mais pour mieux finir aux fraises avec l’équipe garçons. Car l’horizon chez Miller n’a pas d’envers, ne promet aucun « monde de demain » publicitaire. Rétif à toute notion de multivers, il tisse une mythologie sans aucune chance d’expansion, en accord avec l’idée d’un monde fini, foutu.
Le pont jeté vers l’autre opéra, celui de Coppola, c’est bien sûr cette attirance pour les ruines, cette fixette rivée sur la fin de toute chose. « Vous qui aimez les ruines… », dit son chauffeur à César Catilina, en le promenant à travers un New York éboulé façon Colisée. L’expansion du monde, c’est la grande affaire de César, double altéré de Howard Roark, héros architecte du Rebelle de King Vidor (adapté d’Ayn Rand). Architecte aussi, mais de l’effondrement, César incarne puis renverse le mythe du self-made man juché au sommet de sa tour – ce sommet, c’est surtout le crâne de Coppola, qui y fait tourbillonner une Amérique informe peuplée de magnats grotesques, hors de l’histoire effective, empire romain bloqué dans sa chute perpétuelle ; ici il est moins question de la fin du monde que du monde de la fin, où le collapse est banalisé, régulier : Apocalypse Now and Then. Au lieu de camper sur ses principes hyper-individualistes comme le Roark du Rebelle, César, ange noir en qui on pourra voir tous les Trump et les Musk de la Terre, traverse une crise, puis trouve l’amour, le vrai. Chamboulé, il ajuste son projet d’utopie urbaine d’inspiration libertarienne à un idéal humaniste, retrouvant l’espoir d’un lendemain possible par-delà sa petite personne – étrange compromis entre Ayn Rand et le progressisme, pas loin de la fable À la poursuite de demain de Brad Bird (remercié au générique de fin) et de son imagerie.
Mais Coppola, lui, vise moins la fable classique qu’il ne fait danser ce barda de références (Shakespeare, Sénèque le mythe politique de la « Cité sur la colline », etc) dans un opéra autodialectique évoquant l’œuvre d’un fou. Pas au sens où le film serait inintelligible : l’édifice Megalopolis tient debout, limpide et même lourdaud dans l’expression de son sujet – la fin d’un empire à l’intérieur d’un homme, la possibilité d’un recommencement. Fou, le film l’est de façon hélas programmatique (et c’est là peut-être où se joue la discorde autour de lui, y compris au sein de notre rédaction), parce qu’il fonce sciemment dans tous les murs qui séparent le grotesque du sublime, mais pas dans l’idée de produire une émotion trouble (qui n’arrive jamais, ou peu), ni d’inventer la vraie symphonie schizophrène qu’on aimerait voir. L’enjeu serait plutôt de refuser de trancher entre les différents pans de son œuvre : entre opus magnum et film malade, entre opéra à oscars et petit opéra-bouffe cormanien, Megalopolis condense ces facettes dans un seul et même bloc. Comme si l’angoisse de la fin, au fond, était plus forte ; comme s’il fallait rembobiner l’ensemble avant l’extinction définitive, pour tout emporter, tout sauver, dans un film conçu comme une arche de Noé dédiée à son propre cinéma. On n’a jamais autant parlé de « geste » au sujet d’un film si attendu, alors concédons-le : geste biblique, geste opératique, geste fou – mais dans le monde de la fin, seuls les fous survivent.
Yal Sadat
par Yal Sadat
Actualités, Festivals, Hors compétition 2024
Les pieds dans le plat
À une cérémonie d’ouverture placée sous le signe des actrices (Camille Cottin présentatrice, Greta Gerwig* présidente du jury, Palme d’honneur à Meryl Streep remise par Juliette Binoche) a succédé un film d’ouverture centré sur la vanité des acteurs. Aux larmes de l’auto-célebration, ont ainsi répondu les rires de l’auto-dérision, Dupieux semblant se moquer gentiment de tout ce que la cérémonie fêtait au premier degré : la noblesse du métier de comédien, le combat contre le patriarcat, l’idéal d’un cinéma vertueux dans un monde plus heureux… Hier soir, face aux professionnels de la profession, Le Deuxième Acte mettait tellement les pieds dans le plat qu’il fit presque figure de happening. Et le choix en ouverture d’un film qui propose de prendre par l’humour les tensions très actuelles liées à l’intelligence artificielle, la crise économique, la cancel culture et #Metoo, n’est certainement pas anodin de la part de Thierry Frémaux.
Mais il serait réducteur de ne le voir qu’à travers cet angle très circonstanciel. Ayant d’abord découvert le film à Paris, j’ai ressenti combien cette coïncidence trop parfaite nuisait plutôt à la distance de Dupieux, rendant sa légèreté plus cruelle et son acidité plus sérieuse qu’elles ne le sont en vérité. On touche là à ce qui est peut-être la limite du film, mais aussi à ce que ce cinéaste est encore le seul à pouvoir faire grâce à son rythme de production : une manière de réagir presque « à chaud » à l’ici et maintenant du cinéma et de ce qui à travers lui passe de la société française. Mais vu partout ailleurs qu’en ouverture de Cannes, on ressent mieux ce que le rire jaune du Deuxième Acte cache de plus profond, et qui est une manière directe de reposer la question qui sous-tend toute la filmographie de Dupieux : où en est le cinéma avec la croyance ?
Cette critique de l’entre-soi pourrait n’être qu’un comble de l’entre-soi si elle ne laissait pas tant de place à ce qui intéresse au fond le plus Dupieux : le spectateur. Faisant directement suite à Yannick, il pousse ici encore plus loin l’idée que celui qui regarde le spectacle est peut-être le dernier à y croire encore. Et la part méta du Deuxième Acte n’est ni une parodie ni réductible à une blague pour initiés, c’est-à-dire pas un recroquevillement du cinéma sur lui-même, mais plutôt une manière d’imaginer l’absurdité d’un art qui aurait oublié ses raisons d’exister, au point de n’être plus pensé que par des algorithmes et incarné par des acteurs blasés jusqu’au cynisme.
Mais un personnage incarne le contraire absolu de ce vide, et d’une manière assez singulière pour avoir la force d’une apparition, à la fois tragique et burlesque : un figurant mort de trac parce qu’il réalise enfin son rêve de participer à un film, tétanisé par le simple fait d’entrer pour la première fois dans un plan. Son surgissement (il est génialement interprété par Manuel Guillot) face aux quatre acteurs professionnels (Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel, Raphaël Quenard) bouleverse entre deux rires, car il est soudain celui que le cinéma émeut encore et pour qui exister face à une caméra reste une forme de miracle. Il est la réponse à ce que Dupieux craint et rejette le plus, dans sa pratique comme dans son imaginaire : la professionnalisation routinière, la maîtrise blasée. Au point que tout ce qui précède semble surtout fait pour nous amener à cet homme trop maladroit, trop ému, trop gros, trop marqué par la vie pour que le cinéma l’accepte encore. Et ce qu’il advient de lui, dans la cruauté de son rejet et la répétition même de ses actes (nous réservons la surprise à ceux qui n’ont pas vu le film) rend d’autant plus dérisoires les discussions précédentes sur le vrai et le faux, l’imaginaire et la réalité, qui ont toujours été des fausses pistes avec lesquelles Dupieux s’est amusé sans les prendre au sérieux, en bon descendant du surréalisme qu’il est.
Le vrai rire jaune du film vient de là : pas de l’amusement qui consiste à mettre un peu de sel sur les plaies du présent, mais de l’existence d’un être souffrant et complexe au bout d’une hilarante traversée du vide dans un théâtre de marionnettes.
* Qui est bien entendu également réalisatrice.
Marcos Uzal
par Marcos Uzal
Hors compétition 2024
Le Deuxième Acte de Quentin Dupieux | Fiche film
L’avis de la rédaction
Olivia Cooper-Hadjian
Fernando Ganzo
Charlotte Garson
Thierry Méranger
Yal Sadat
Elodie Tamayo
Marcos Uzal
Critique du film
Les pieds dans le plat par Marcos Uzal
Fiche technique
Réalisation : Quentin DUPIEUX
Scénario/dialogues : Quentin DUPIEUX
Image : Quentin DUPIEUX
Décors : Joan LE BORU
Montage : Quentin DUPIEUX
Casting :
Léa SEYDOUX
Vincent LINDON
Louis GARREL
Raphaël QUENARD
Manuel GUILLOT
Pays : France
Production : Chi-Fou-Mi Productions
Distribution : Diaphana Distribution
Durée : 85 minutes
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