Actualités, EntretiensEntretien avec Richard Linklater : Pari(s) avec les esprits
Richard Linklater était venu à la rédaction des Cahiers pendant le tournage de Nouvelle Vague une première fois, avant cette deuxième rencontre, une fois son film fini. Retrouvez dans notre numéro d’octobre la suite de nos échanges avec lui, dont nous vous offrons ici un extrait.
Il y a un an, les Cahiers consacraient un reportage au tournage de Nouvelle Vague, en particulier le scène de la visite de Rossellini dans les bureaux de la revue…
Cette séquence était très émouvante. Je n’étais pas préparé émotionnellement à voir en même temps tous les acteurs que nous avions choisis, parmi lesquels ceux qui interprétaient Demy, Varda, Resnais, Rouch ou Rozier. Ils ne sont pas des Cahiers, bien sûr, mais nous nous sommes dit que si Rossellini, qui était souvent dans le coin à l’époque, était en ville, leur présence était plausible. C’est à ce moment que j’ai réalisé que plus aucun d’eux n’était parmi nous, mais qu’ils étaient tous de retour ce jour-là, comme si des fantômes marchaient dans la pièce. C’était magique, presque une expérience de spiritisme à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Il y avait là toute la Nouvelle Vague. Nous avions tous les larmes aux yeux. Moi le premier.
Y a-t-il eu d’autres moments du tournage aussi émouvants ?
Ce qui était amusant, c’était de revenir tourner sur les lieux mêmes du tournage d’À bout de souffle et de se dire que nous étions là où l’histoire du cinéma s’était écrite. Par exemple, l’immeuble de l’appartement de Liliane David, au bas duquel Belmondo lit le journal, le froisse pour lustrer ses chaussures et saute quelques marches. Nous avons parlé aux habitants du lieu et ils nous ont demandé ce que nous faisions. Ils connaissaient À bout de souffle mais ne savaient pas que le film avait été tourné dans leur immeuble. Il n’y a aucune plaque commémorative. Le seul endroit où l’on trouve un rappel du tournage, c’est rue Campagne-Première, où se déroule la séquence finale du film. Oui, il y a un café-restaurant où il y a des photos. C’est la rue célèbre ! Elle est maintenant asphaltée, et son aspect est un peu différent. Nous avons dû utiliser des effets spéciaux pour recréer les pavés et des éléments à l’arrière-plan, mais les bâtiments n’ont pas changé. Il faut effacer des éléments plutôt qu’en ajouter. Partout à Paris, il y a des potelets qui bordent les rues, ce sont les ennemis des films d’époque ! Il faut payer pour les enlever. Il n’empêche que tourner sur place a été magique.
Il pleuvait beaucoup ce jour-là, c’était en mars ou avril. Nous venions de finir de déjeuner et Zoey (Deutch) a dit : « Allons rendre visite à Jean. » Jean Seberg est enterrée juste en face, au cimetière Montparnasse. Alors nous avons pris des parapluies et nous y sommes allés. Zoey était Jean Seberg, c’était comme si elle marchait vers sa propre tombe. C’était déjà plutôt étrange, mais il y a eu un événement plus troublant : la pluie a cessé quand on s’est approchés, et dès que Zoey est arrivée devant la tombe, le soleil est apparu. Il ne nous a plus quittés de tout l’après-midi. C’est assez incroyable de se trouver à retourner la scène la plus célèbre de la vie de Jean alors qu’elle est enterrée tout près… Ensuite, je lui ai rendu visite plusieurs fois. Tout cela nous a permis de nous imaginer que nous étions bénis, protégés par les dieux du cinéma ou quelque chose comme ça !
Vous avez vous-même une relation particulière avec Paris.
Oui, mais tout le monde n’a-t-il pas cette impression ? Le tournage était génial. Mais il y a eu tant de films tournés à Paris, tant de clichés…
Votre film n’est pas tant pour nous un jeu sur les clichés qu’une forme de revival.
Tant mieux, c’est aussi mon point de vue. J’ai tourné deux films à Paris, et la tour Eiffel n’apparaît dans aucun des deux !
Vous nous disiez que votre idéal serait de tourner « un film sur Godard réalisé par Rozier ». Y êtes-vous parvenu ?
J’espère que Nouvelle Vague est dans cet esprit-là. Il était surtout important qu’il ne ressemble pas à un film de Godard, mais à un film réalisé par quelqu’un d’autre de cette époque, avec la syntaxe et le langage d’alors, et à petit budget. Nous avons fait un film au budget relativement modeste selon les standards d’aujourd’hui, même si reconstituer l’époque revenait plus cher, à cause de tous les effets visuels. À l’arrivée, nous avons atteint nos limites et trouvé des solutions pour que tout fonctionne. On doit toujours réagir à ce que le monde réel nous renvoie. Je choisis de ne pas voir cette situation comme une opposition. En sport, une équipe tente de gagner et de faire perdre l’autre. Au cinéma, il s’agit juste d’essayer de se synchroniser avec le monde et de créer son art à l’intérieur de celui-ci. Il n’y a pas d’antagonisme. C’est juste le monde réel. […]
Entretien réalisé par Thierry Méranger à lire dans les Cahiers nº 824, en vente en kiosque en ligne.
par Thierry Meranger