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Adriazola et Sepúlveda : gens magnétiques

Crónica de un comité de Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda (2014).

Adriazola et Sepúlveda : gens magnétiques

ActualitésFestivalsFIDMarseille - Festival International de Cinéma de Marseille

Publié le 8 septembre 2025 par Claire Allouche

PORTRAIT. Montrée dans sa quasi-intégralité pour la première fois en Europe pendant le FIDMarseille, l’œuvre du duo chilien Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda sidère par sa lucidité crue et son sens agité de l’engagement.

«Pour quelle raison la caméra bouge-t-elle autant ? » À cette première question du public pendant le débat de Crónica de un comité (2014), José Luis Sepúlveda répond avec une placidité espiègle : « La caméra bouge, parce qu’elle devait bouger. » De fait, quoi de plus juste que de réguliers remous de l’image pour raconter les contradictions d’un mouvement social ? Dans ce film, José Luis Sepúlveda et Carolina Adriazola accompagnent les actions d’un groupe politique formé pour rendre justice à un adolescent chilien impunément assassiné par un carabinier. Filmé avec des petites caméras à la fois par les réalisateurs et certains protagonistes, Crónica de un comité multiplie littéralement les points de vue. « Nous voulions déstabiliser le contrôle du tournage par une caméra qui se partage », confie Adriazola.

Une caméra légère pour braver le fardeau de la société néolibérale chilienne : cet élan est manifeste dès El pejesapo (2007), premier long métrage réalisé par Sepúlveda et produit par Adriazola. D’un champ de caillasse à un cabaret itinérant, Daniel y traîne sa carcasse. Ce quarantenaire lumpen au ton ruizien oscille entre profond désespoir et sursauts de libido. El pejesapo a été réalisé « sans un peso » et avec différentes caméras MiniDV à disposition et des cassettes réutilisées.

Faire des films en tension avec l’image préexistante de leurs protagonistes : telle est l’une des gageures du cinéma d’Adriazola et Sepúlveda, qui prônent « la chair réelle, et donc sale, des images ». Dans Crónica de un comité, le frère du défunt se réjouit d’apparaître dans une émission de télévision à forte audience. Il est conscient de transformer partiellement la quête de justice en auto- promotion médiatique. Dans Mitómana (2009), l’actrice Nora Díaz mène le jeu. D’une rue à l’autre, elle impose ses interprétations excessives, défiant les nerfs de ses interlocuteurs et la mobilité des réalisateurs. Dans Il Siciliano (2017), « El Padrino » se donne en spectacle dans sa vaste demeure, également négoce de perruques.

Dans Cuadro negro (Grand Prix du Festival Punto de Vista 2025, Cahiers nº 820), Adriazola et Sepúlveda poussent cette inquiétude un cran plus loin. L’actrice Sofía Paloma Gómez s’introduit dans le Cadre noir chilien, prétendant y réaliser un film d’art. Avec entêtement, Sofía cherche à reproduire, en mouvement et au présent, l’iconographie militaire prétendument glorieuse. La fabrication en direct de ces images suscite une passionnante dissection du fascisme décomplexé auquel contribue l’armée.

Également musiciens, membres du groupe Resistencia Magnética, Adriazola et Sepúlveda s’illustrent par leur sens de l’improvisation. « Nous cherchons à prendre de la distance avec les mélodies traditionnelles et à chercher la liberté dans les structures, comme si on sculptait », confient-ils. C’est la forme de leurs films que l’on croit entendre ici : tout en spirales mélodiques et en échos, préférant susciter des respirations pour ceux qu’ils filment que de s’accrocher à des principes de causalité. Si le duo est volontiers aimanté par ses personnages, ce n’est pas parce qu’il se laisse vampiriser : les cinéastes avancent ensemble en déboussolant leur sens de la gravité.

Claire Allouche

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