
Au FID, l’heure des survivances
ActualitésFestivalsFIDMarseille - Festival International de Cinéma de Marseille
Publié le 8 septembre 2025 par
FESTIVAL. Portée par l’irrévérente vitalité des films de Radu Jude et du duo José Luis Sepúlveda-Carolina Adriazola, la 36ᵉ édition du FIDMarseille, du 8 au 13 juillet, a multiplié les chemins de traverse pour faire face aux détresses de notre temps.
Se confronter à des archives dans un éclairant état de crise : tel était le défi lancé par certains des films les plus intrigants de cette édition du FIDMarseille. Dans le court 09/05/1982, Camilo Restrepo et Jorge Caballero titillent notre perception critique avec un montage de prétendues archives d’une Amérique latine rongée par la violence. Ces images sont en réalité le produit de l’intelligence artificielle. Le piège invite à réactiver notre discernement et à déceler la part de contemporanéité qui s’immisce dans toute opération d’exhumation. Katasumbika de Petna Ndaliko Katondolo fait de ce problème une affaire de matière.
Des archives coloniales de la République démocratique du Congo sont mises à l’épreuve de l’extractivisme actuel. Elles commencent par être simultanément projetées sur un télé- phone portable et un morceau de coltan, minerai nécessaire à sa fabrication, avant de réapparaître sur des tamis de riz secoués par des femmes. Les pixels glissent alors sur le grain, et la souveraineté alimentaire chasse les spectres de l’oppression.
Ignacio Agüero, hanté par la pensée qu’il étudiait le cinéma « tandis que le pays se remplissait de morts » sous Pinochet, signe avec Carta a mis padres muertos une somme bouleversante. Le Chilien sonde ce que ne disent pas de la grève ouvrière les petits films qu’il a hérités de son père, entrepreneur. Face au manque d’images, il suscite des témoignages inédits, qu’il mêle à des plans de ses films précédents. Cette fois-ci, les apparitions de sa famille ne relèvent pas de la chaleureuse évidence mais de la survivance : à l’époque dont ils ont réchappé, aux films amateurs d’où ils sont ressuscités. Suivant l’aphorisme bressonien des « deux morts et trois naissances » inhérentes à l’existence de tout film, Morte e Vida Madalena de Guto Parente (Prix d’aide à la distribution Ciné+/GNCR) fait gagner les pulsions de vie. Le onzième long métrage du cinéaste brésilien célèbre la persévérance loufoque avec laquelle une productrice et son équipe queer accouchent d’un film de genre fauché. Fugue du réalisateur, débordements d’un acteur, tapage du voisinage : tenir ensemble face au désastre est le maître mot de l’aventure. Le déséquilibre permanent y est investi comme principe d’harmonie collective.
Deux premiers longs métrages se distinguaient quant à eux par l’acuité à cadrer un monde à l’écart des vivants : Conference of the Birds d’Amin Motallebzadeh et Fantaisie d’Isabel Pagliai (Prix du Premier film). Le premier s’attache à une équipe de foot en plein deuil de son entraîneur historique. La fragmentation de la mise en scène montre qu’une fois privés du sifflet fédérateur du défunt, les footballeurs voient leur corps leur échapper. Ils deviennent de tristes machines à performer, tournant à vide. Dans Fantaisie, la farouche Louise entonne chanson sur chanson, seule dans son coin. Isabel Pagliai, également cheffe opératrice, sculpte patiemment le visage de sa jeune protago- niste avec des faisceaux de lumière naturelle, tout en respectant l’obscurité qui lui sied.
Claire Allouche
Anciens Numéros