
Cinemed à l’heure syrienne
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Publié le 2 décembre 2025 par
Et si le mercredi 22 octobre, au mitan de la 47e édition de Cinemed, avait permis de poser, à Montpellier, la première pierre de la reconstruction d’un paysage cinématographique syrien ?
Comment reconstruire le cinéma syrien ? Quatorze ans après la répression sanglante qui a marqué le début de la guerre civile et un an après la chute du régime Assad, qui a porté au pouvoir Ahmed al-Charaa, c’est à l’initiative de Cinemed que les principaux intéressés ont pu donner leur réponse. Le festival, loin de se contenter d’un hommage en 6 longs et 16 courts au « jeune cinéma syrien », a littéralement choisi de lui donner l’occasion d’exister.
Réunir autour de tables rondes une bonne partie des forces vives de la création émergente syrienne tenait du tour de force, et l’importance historique de la rencontre du mercredi 22 octobre n’a pas échappé aux participants, émus d’une opportunité jusqu’ici inimaginable puisque la plupart d’entre eux se côtoyaient alors pour la première fois. C’est évidemment un constat de dispersion et d’isolement qui domine chez les cinéastes qui se considèrent, qu’ils travaillent dans leur pays ou en exil, comme membres d’une diaspora souffrant d’un « échec de l’État à nous réunir tous », selon Majd Hafiry, producteur-acteur d’Amygdala, réalisé par son frère Osama.
Emblématique et prometteur est ainsi le travail du collectif Al-Ayoun (« l’œil »), lieu virtuel de partages, dont les coordinatrices, Sara Kontar et Diala Al Hindaoui, sont installées en France depuis 2016. Les deux femmes souhaitent ainsi fédérer les créateurs dans une instance qui deviendrait l’interlocutrice du pouvoir en place. Car domine aujourd’hui chez les cinéastes le sentiment de précarité.
Madonna Adib, en postproduction d’un long après une fiction courte, le très sensible Overnight, rappelle qu’« il n’y a pas actuellement d’espace qui garantit ma liberté et ma sécurité dans la Constitution » et que « parler du corps, du queer, des femmes et du féminisme » requiert une protection encore loin d’être acquise.
Se pose aussi avec acuité la question de la diffusion. L’exemple du « Salon de Damas », dans le contexte d’une raréfaction de sites de projection, pourrait faire école : ce ciné-club mis en place par George Ashkar, étudiant naguère de la première promotion d’un Institut supérieur du cinéma en jachère, a diffusé après la chute du dictateur, pour sa première séance, Étoiles de jour d’Ossama Mohammed (1988), banni depuis sa création. Résultat : plus de 1 200 réservations pour 120 places.

Plusieurs programmes de courts contemporains ont été présentés ensuite. Parmi eux, ceux de Rand Abou Fakher, artiste vivant à Bruxelles, dont So We Live (2020), brillant plan-séquence, a alors été projeté en Syrie pour la première fois. Comme tous ses collègues, la réalisatrice, en reconnaissant que les thématiques de la séparation et de la douleur nourrissent ses récits, insiste sur le piège que constitue l’évocation de la violence passée.
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« Sommes-nous condamnés à n’être que des victimes de guerre qui ne parlent que de la souffrance ? », demande Majd Hafiry. « Quelle sera la valeur de mes récits quand il n’y aura plus d’exil ? », s’inquiète Sara Kontar. Ziad Kalthoum, auteur de Taste of Cement (primé à Nyon en 2017), lie pour sa part l’identité du cinéma syrien à la poursuite d’un travail en phase avec l’actualité : « L’Institut engage à parler du régime d’Assad mais nie les massacres d’aujourd’hui. »
Attentif auditeur des débats, le directeur du CNC, Gaëtan Bruel, de retour de Damas, a souligné en préambule le rôle que la France, dont il réaffirme l’universalité de l’engagement, doit jouer dans la structuration du paysage cinématographique syrien. Affaire à suivre, d’autant qu’il y a, comme il le dit, « urgence à accompagner les cinéastes dans la transition historique que connaît leur pays ».
Thierry Méranger
Anciens Numéros



