
Coup de cœur (1981) de Francis Ford Coppola
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Publié le 1 décembre 2025 par
En apercevant Hank (Frederic Forrest) torse nu, un drap sur l’épaule comme un empereur d’opérette, on réalise que Coup de cœur et Megalopolis, à quarante ans de distance, ont un air de famille.
Grosses machines inséparables de leurs dispositifs, les deux films portent haut leur futurisme, tout en exhibant le champ de ruines, la mélancolie et la défection qui les entourent. L’ambition affichée s’ombre de la préscience de leurs insuccès publics, retour de karma sanctionnant tant d’hubris visuelle et de mégalomanie théorique, laissant tout seul celui qui est encore allé trop loin.
Au début des années 1980, le cinéaste se vivait alors comme un grand œil démiurgique. Son Coup de cœur fut le coup d’envoi de ses nouveaux studios Zoetrope, jouet grandeur nature pour mettre le monde en boîte. Après avoir reconstitué Las Vegas in situ et renoncé à tourner live avec neuf caméras, ce selfish Mabuse, planqué dans son camion-régie-jacuzzi surnommé « The Silver Fish », dirigeait à distance, via le retour vidéo d’un steadicam baladeur, une simplissime comédie de remariage.
Hank et Frannie (Teri Garr), couple fatigué, se déchire la veille du 4th of July, rencontrent dans la foulée le compagnon idéal, et y renoncent dans les larmes pour revenir à leur première vie. Cette trame rebattue interprétée par des acteurs joliment empâtés se retrouve au beau milieu d’un énorme kaléidoscope de décors truqués, de lumières changeant à vue, de complaintes chantées en off (par Tom Waits et Crystal Gayle), qui projettent autour du maigre statu quo du couple les couleurs électriques et artificielles du fantasme. Et ça en jette.

À la sortie du film, Daney, à la fois admiratif et écœuré, pouvait encore dire, pointant le maniérisme émergent des années 1980 : « Il n’arrive plus rien aux humains, c’est à l’image que tout arrive » (Ciné journal). Aujourd’hui, tandis que nous baignons dans un environnement saturé d’icônes, de marques et de scrolls, lot quotidien d’inauthenticité observé de loin, à travers le petit bout de lorgnette de nos écrans « Silver Fish », c’est plutôt l’humanité du film qui saute aux yeux : les blasons non normatifs des corps (bedaine, traits irréguliers, boucles flagada) et les mouvements imprévisibles (maladresse, hésitations), dont on sent bien qu’ils sont valorisés par Coppola, et que son esthétique artificielle est une façon de les rehausser.
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Mais même ses trucages ont fini par acquérir une patine historique. Et en regardant Coup de cœur, on est moins ému par ses rapports homme-femme (qui ont assez mal vieilli) ou rêveur devant ses inventions visuelles (trop multitâches que nous sommes, trop habitués à naviguer entre les images) que touché par l’étrange intimité du film, sa manière quasi protectrice de nous entraîner dans sa taupinière et d’inventer un « habillage » d’images et de sons qui resterait habitable, pour les personnages et pour nous. On jugera ainsi de la générosité du visionnaire : non pas apercevoir une image du futur, mais créer celle qui continuerait d’accueillir ses spectateurs, les années passant.
Pierre Eugène
Versions restaurées 4K de Dementia 13, Conversation secrète, Apocalypse Now Final Cut, Coup de cœur, Outsiders, Tucker (également en combo DVD-Blu-Ray, les 19 novembre et 10 décembre, Pathé), et Twixt en salles le 19 novembre
COUP DE COEUR
États-Unis, 1981
Réalisation Francis Ford Coppola
Scénario Armyan Bernstein et Francis Ford Coppola
Image Vittorio Storaro, Ronald Víctor García
Montage Rob Bonz, Rudi Fehr, Anne Goursaud, Michael Magill, Randy Roberts
Son Bones Howe
Décors Dean Tavoularis
Interprétation Nastassja Kinski, Frederic Forrest, Teri Garr, Raúl Juliá.
Production American Zoetrope
Distribution Columbia Pictures (US), Pathé (FR)
Durée 1h43
Sortie 29 septembre 1982 (initale), 19 novembre 2025 (ressortie)
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