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À quoi ressemble la production indépendante française en 2025 ? Entretien avec Antoine Simkine

Belladone d'Alanté Kavaïte, film coproduit par Les Films d'Antoine (2024)

À quoi ressemble la production indépendante française en 2025 ? Entretien avec Antoine Simkine

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Publié le 1 août 2025 par Yal Sadat

Quel devenir pour les indépendants dans un moment où les bouleversements technologiques et économiques semblent reconfigurer le cinéma tout entier ? C’est la question posée lors d’une rencontre Big Media organisée par la French Touch lors du Festival de Cannes, où le producteur Antoine Simkine (Les Films d’Antoine) a pu venir détailler les nouveaux enjeux de son métier.

Comment définir la notion de cinéma indépendant aujourd’hui ?

Je pense que les vrais indépendants sont les producteurs capables de s’autofinancer. C’est assez amusant qu’en France nous ayons un syndicat appelé l’Association des producteurs indépendants, où sont représentés des studios comme Pathé, Studio Canal, Gaumont, qui sont des entités très puissantes ; à côté, nous avons aussi le Syndicat de production indépendante, qui devrait plutôt s’appeler, à mon avis, le Syndicat de la production autonome. Car nous sommes en fait très dépendants, quand on est indépendant ! On dépend de multiples sources de financement, de décisions de commissions d’aide qui ne sont pas interconnectées… Mais les cinéastes gardent le contrôle des films. Lorsque vous dépendez d’un seul grand studio, il y a peut-être plus de budget mais aussi plus de risques.

La frontière entre indés et mainstream n’est-elle pas brouillée, à l’heure où tous les films font face aux mêmes défis : guerre commerciale, irruption de l’IA, devenir « niche » du médium ?

L’histoire du cinéma est faite de bouleversements, et notre boulot de producteurs et de s’y adapter. On a l’impression d’être sur le Titanic en permanence, mais j’en suis à mon trente-deuxième Cannes, et curieusement le Titanic flotte toujours. 35 000 personnes se réunissent, l’enthousiasme est là, de nouvelles stratégies s’observent. On a intégré les plateformes dans le système français. Pour ce qui est de l’IA, c’est encore autre chose : je peux m’installer devant Chat GPT et croiser les bras, mais j’attendrai longtemps avant que l’algorithme ne me propose une idée. On est loin d’atteindre l’entité autonome qui serait capable d’innover.

Lire aussi: Table ronde sur la production française avec Alice Bloch, Charles Gillibert, Marie-Ange Luciani et Marc Missonnier

L’IA a-t-elle un impact sur les méthodes de production, voire de postproduction ?

Elle s’avère utile pour certains types d’effets spéciaux. On fait de grandes choses en matière de rajeunissement ou de vieillissement. Mais je n’ai pas encore rencontré une utilisation de l’IA qui me passionne – même si certaines astuces me bluffent. Ce dont on peut être assez certain, c’est que les majors nourrissent la machine avec de nombreux modèles à imiter : Netflix emploie plus de six mille ingénieurs, sur quoi travaillent-ils ? Sans doute pas sur la diffusion, car même avec 300 millions d’abonnés, on n’a pas besoin d’autant de monde. Ils travaillent sur autre chose. Netflix a de quoi offrir à l’ordinateur 400 millions d’heures d’observation de notre comportement de spectateurs. Ce n’est pas nous qui regardons Netflix, c’est Netflix qui nous regarde.

Peut-être qu’on peut imaginer qu’en réponse ils génèrent des films répondant à nos attentes, indexés face à notre taux de réponse sur tel type de forme ou de narration. Cela commence à arriver en animation. Certaines œuvres ne sont plus livrées sous forme de « bobine » linéaire : les studios donnent plutôt accès à la base de données du projet afin que l’on puisse le modifier, faire varier les personnages selon les pays pour les adapter à la culture locale, par exemple. Ces pratiques restent tout de même limitées.

Antoine Simkine, producteur indépendant français.

Antoine Simkine, producteur indépendant français chez Les Films d’Antoine.

À Cannes, observez-vous de nouveaux usages de production qui permettent de garantir l’indépendance ?

Les tournages à l’iPhone me semblent intéressants, même si l’on peut y voir un gadget que les années 2010 ont mis à la mode. Avant de tourner, on passe cinq ans à développer, et lorsqu’on ne trouve pas d’argent on conclut que l’œuvre future n’intéresse pas les gens ; installer la caméra n’importe où et rapidement permet de contourner ces doutes et d’enjamber l’infrastructure organisationnelle. Le problème, c’est que, si un film surgit ex nihilo, la structure de distribution ne va pas l’absorber, sauf miracle.

Faire des films, c’est un métier, et il est difficile. À mes débuts, je me suis dit : « Je sais fabriquer des films, je vais donc en produire. » Mais il ne s’agit pas de « fabriquer ». Produire, c’est autre chose : c’est mettre un film sur orbite de façon à ce qu’il trouve sa place dans le monde.

Entretien réalisé par Yal Sadat au Festival de Cannes, le 20 mai.

 

 

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