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La Pampa d’Antoine Chevrollier

© Cahiers du Cinéma

La Pampa d’Antoine Chevrollier

ActualitésFestivalsSemaine de la critique 2024

Publié le 20 mai 2024 par Marcos Uzal

Holy motos

Sur le papier et à quelques détails près, La Pampa aurait pu être un film français typique des années 1990, héritier d’André Téchiné : scènes de la vie adolescente de province (un bled du Maine-et-Loire, en l’occurrence), entre rêves intimes et injonctions des parents, entre émois amoureux et désirs secrets. Le monde du moto-cross sert ici de cadre à une solide histoire d’amitié entre deux jeunes hommes ; la découverte de l’homosexualité de l’un d’eux viendra tout bouleverser, moins entre eux qu’avec tous les autres – famille, camarades de lycée, amant clandestin. Les schémas connus servent ici de trame à un récit qui ne cesse de gagner en épaisseur romanesque, comme si ce qui semble convenu scénaristiquement était précisément ce contre quoi se battent et se débattent les personnages. Autrement dit : le synopsis ce sont les atavismes, ce qui se rejoue schématiquement. Tout ce qui en déborde, l’essentiel, repose sur la singularité des personnages, leur vitalité et tragédie propres, qui échappent aux archétypes sociaux ou psychologiques. Aucun personnage n’est sacrifié ou réductible à une fonction : tous finissent par surprendre, même le père le plus rigide, et donc par exister dans toute leur complexité humaine. Ainsi, le récit ne va jamais tout à fait où l’on pourrait l’attendre et, surtout, les idées de mise en scène d’Antoine Chevrollier (dont c’est le premier long métrage) ne sont jamais paresseuses, évidentes – sans effets, simplement, elles décalent la perspective, font des pas de côté. La Pampa ne trouve pas son originalité dans ce qu’il met en place, mais dans la foi qu’il accorde à des êtres qui évoluent constamment grâce aux autres (ou à cause d’eux). Les acteurs y sont pour quelque chose, tous parfaitement accordés malgré leurs différences de registres, tous précisément justes – des plus débutants (Sayyid el Alami, Amaury Foucher, Léonie Dahan-Lamort) aux plus expérimentés (génial Damien Bonnard, Artus à contre-emploi), et des principaux aux plus secondaires. Quant au moto-cross, il cesse de n’avoir qu’une fonction symbolique (de l’énergie à la fois débordante et fragile de la jeunesse) dès que le cinéaste prend le temps de le filmer, en tant que forme particulière de perception et de sensation. Modestement, Chevrollier retrouve dans La Pampa quelque chose qui faisait la valeur du cinéma français et qui a tendance à se perdre : une fièvre romanesque nichée au cœur de l’apparente banalité.

Marcos Uzal

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