
Le Canto 78 du Festival de Locarno
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Publié le 6 octobre 2025 par
La 78E édition du festival tessinois a tenu les promesses d’une sélection internationale ambitieuse et audacieuse où a brillé le dernier volet, très attendu, du Mektoub d’Abdellatif Kechiche.
Si Locarno fut, en cet été de pleine canicule, the place to be, ce n’est pas tant pour la fraîcheur vainement espérée des rives du lac Majeur que pour une compétition internationale de dix-huit titres, dont la moitié au moins nous vampait sur le papier. Que l’éclectisme osé de la sélection ait conduit à la célébration par le jury emmené par Rithy Panh de titres plus timorés ou convenus n’étonne guère, consensus électif oblige.
En témoigne le Léopard somme toute très apprivoisé offert à Sho Miyake, réalisateur japonais chevronné peu identifié chez nous, pour Two Seasons, Two Strangers. La délicatesse du film, qui adapte en mode mineur deux œuvres clefs du mangaka Yoshiharu Tsuge (A View of the Seaside et Mr. Ben et son igloo), est aussi sa limite, tant la substitution du tiroir au miroir paraît jouée d’avance dès lors qu’une scénariste est la protagoniste d’un des deux récits.
Autre film primé, White Snail des Autrichiens Elsa Kremser et Levin Peter repose pour beaucoup sur l’interprétation de Marya Imbro et Mikhail Senkov (eux-mêmes récompensés), dont on sait qu’ils rejouent en partie leur propre existence en Biélorussie. Cette rencontre dans une morgue de deux solitaires en proie à la toxicité de leurs milieux respectifs (l’une est une mannequin suicidaire, l’autre s’inspire de son expérience de thanatopracteur pour peindre) ne peut que déboucher sur une romance dont les contrariétés qu’elle subit ne parviennent pas à gommer la prévisibilité.

Unique hardiesse du jury, un « Prix spécial » a été remis à Dry Leaf d’Alexandre Koberidze. Le cinéaste géorgien, qui faisait déjà tourner ses parents dans Sous le ciel de Koutaïssi en 2022, met ici en scène son père errant sur les traces supposées d’une fille photographe dont le projet professionnel était d’immortaliser, jusqu’aux tréfonds des moindres hameaux, les terrains de foot du pays. L’hypnotique singularité de cette quête low-fi du savoir-voir, tournée avec un téléphone antédiluvien, repose en outre sur la présence d’un compagnon de route invisible pour les quidams dont nous faisons partie.
Autrement plus tapageur s’annonçait l’événement cinéphilique de l’été, Mektoub, My Love : Canto due, suite d’un Intermezzo qui demeure sous le boisseau. L’absence d’Abdellatif Kechiche et la présence d’une partie de l’équipe du film – acteurs compris – qui le revendique pleinement ont permis le recentrage sur un nécessaire retour à l’œuvre. Largement à la hauteur de l’attente, ce deuxième volet nous offre à la fois le plaisir revivaliste virtuose de sa chronique chorale, l’écriture subtile de ses personnages et la séduction de leur interprétation. S’y ajoute, plus que jamais, une science rythmique qui s’affranchit des séquences de danse pour proposer l’exploration d’autres pistes et, tout en creusant une veine métafilmique plutôt jouissive, constitue, plus près de Cassavetes que jamais, un appel à d’autres genres. La série est assurément l’un d’eux puisque le film refuse de se clore et exige un Canto tre.
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Parmi les autres confirmations tessinoises, il convient de relever l’appétence pour la fable du dernier Ben Rivers qui, dans Mare’s Nest, ne met en scène que des enfants – un monde sans adultes qu’il décrit lucidement comme « un univers empreint d’incertitude ».
Frappe parallèlement l’ambition d’autres œuvres que leur propos éloigne de leur ancrage réaliste. C’est le cas du passionnant essai de Fabrice Aragno, Le Lac, premier long du collaborateur de Godard qui s’éloigne peu à peu d’un contexte très factuel (la régate, l’helvétisme assumé, le huis clos à ciel ouvert) pour se muer en expérience sensorielle osant les références picturales et littéraires… et un montage que le riverain de Rolle eût très certainement prisé.
C’est aussi au carrefour des genres que se tient un autre premier long, Les Saisons de Maureen Fazendeiro, dont le feuilletage temporel, tout en évoquant superbement la région de l’Alentejo, touche à l’universalité d’un film babélien peuplé d’archéologues allemands et de fantômes portugais.
Thierry Méranger
Anciens Numéros



