
Smashing Machine de Benny Safdie : Haltères ego
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Publié le 29 octobre 2025 par
Le scénario de Smashing Machine, portrait de Mark Kerr, pionnier du combat de MMA, dialogue tant avec Raging Bull, addictions et scènes de ménage comprises, que l’on pourrait y voir une forme de remake du film de Martin Scorsese. Ce récit si américain du dépassement de soi dans la compétition, de la victoire dans la défaite, de la vie personnelle sacrifiée au nom du sport, ainsi que cette complaisante théâtralisation du couple en crise (il faut que ça cogne et casse des portes), sont devenus si conventionnels que tout confine ici au déjà-vu, pour ne pas dire au cliché.
D’autant que Benny Safdie, qui signe ici son premier long métrage en solo, n’a aucun recul avec cette matière usée, qui semble rejouer des scènes de films (de Rocky à Cassavetes) plus qu’elle ne puise dans la vie. À la Mostra de Venise (où le film a obtenu le Lion d’argent du meilleur réalisateur), le cinéaste a revendiqué de faire un cinéma de « radical empathy », c’est-à-dire, en l’occurrence, totalement du côté de Kerr, sur le ring, dans sa chambre et dans son salon, mais aussi « dans sa tête ». L’idée que l’empathie puisse être radicale est en soi curieuse ; si on la prend au pied de la lettre, cela pourrait à la rigueur se traduire par une caméra subjective constante, mais ici l’expression souligne simplement que Safdie élude la grande affaire du cinéma : la distance.
Ainsi, Smashing Machine ne se risque à aucune distanciation intellectuelle et à aucun recul physique vis-àvis de son protagoniste. Au point que le cinéaste ne semble pas avoir conscience que Kerr se comporte parfois comme un véritable connard. C’est au fond peu généreux que de nous laisser faire ce constat par nous-mêmes. L’empathie, ce n’est pas aimer inconditionnellement son personnage en évitant de le penser, mais parvenir à nous le faire comprendre, parfois jusque dans ses recoins les plus obscurs, voire repoussants. Au contraire de ses modèles Scorsese et Cassavetes, Safdie n’ouvre aucune perspective romanesque ou tragique.

Quant à la forme pseudo-documentaire de la mise en scène de Benny Safdie, très monotone car systématique (caméra portée gigotant, autant dans un salon que sur un ring) semble être une mauvaise copie, presque un pastiche, du style des films réalisés avec son frère. Il y a pourtant quelque chose qu’il aurait pu documenter : la présence de son acteur Dwayne Johnson. En termes de jeu, il n’a rien d’extraordinaire, et seul l’étonnement de le voir dans un rôle plus réaliste et dramatique qu’à l’accoutumée explique à mon sens que certains voient là une belle performance.
Il n’est ni Robert De Niro ni Stallone, et s’il touche parfois, c’est que sa maladresse rejoint celle du personnage, semblant comme lui perdu dans sa propre démesure physique. Mais le cinéaste ne fait pas grand-chose de cette masse inexpressive, il lui greffe même perruque et prothèses jusqu’à en faire une sorte de Big Jim, ajoutant encore de l’artifice à un film qui ne cesse pourtant de mimer le naturel, de fabriquer de la fausse spontanéité. La « radical empathy » de Safdie l’empêche ainsi de voir ce qu’il y a de monstrueux dans son personnage, c’est-à-dire, littéralement, de le montrer véritablement, et donc de nous donner à l’aimer en tant qu’autre. Beaucoup d’haltères, bien peu d’altérité.
Marcos Uzal
SMASHING MACHINE
États-Unis, 2025
Réalisation, Scénario, Montage Benny Safdie
Photographie Maceo Bishop
Son Steve Baine, Peter Persaud, Wyatt Sprague, Ben Greaves
Musique Nala Sinephro
Interprétation Dwayne Johnson, Emily Blunt, Ryan Bader, Bas Rutten, Oleksandr Usyk
Production A24 Films, Seven Bucks Productions
Distribution Zinc Film, Diamond Films
Durée 2h03
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