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Les mélos nus de John M. Stahl

© Cahiers du Cinéma

Les mélos nus de John M. Stahl

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Publié le 18 juin 2025 par Marcos Uzal

RÉTROSPECTIVE. Jusqu’au 29 juin, la Cinémathèque française fait honneur au trop méconnu John M. Stahl, notamment auteur d’une poignée de magnifiques mélodrames.

La raison pour laquelle John M. Stahl reste encore méconnu réside probablement dans ce qui fait la beauté de son oeuvre : il est un cinéaste de la discrétion et de la délicatesse. Son génie s’est particulièrement épanoui dans cinq mélodrames : Histoire d’un amour (1932), Une nuit seulement (1933), Images de la vie (1934), Le Secret magnifique (1935) et Veillée d’amour (1939). Il s’y attache à des êtres ordinaires pris dans les rouages de la vie, avec ses coïncidences, ses occasions manquées, ses sentiments retenus, dans des récits qui se déroulent (à l’exception du dernier) sur de nombreuses années, à coups d’ellipses bouleversantes.

Dans Histoire d’un amour, son chef-d’oeuvre, une femme (la si émouvante Irene Dunne, son actrice fétiche) vit pendant de longues années une relation secrète avec un homme marié. À aucun moment le film ne les juge, car seule la vérité des sentiments importe à Stahl, et la façon dont les personnages les vivent sincèrement, prêts à tous les renoncements au nom de l’amour. Dans ces mélodrames, chacun fait comme il peut en essayant de blesser le moins possible ceux qui l’entourent, car décider de ce que l’on vit avec un seul être c’est aussi choisir ce que l’on ne vivra pas avec d’autres. Sentimentaux mais pas romantiques, fidèles à leurs promesses et à leur passé, ils ne sont pas de ceux qui rompent. Ainsi, dans Veillée d’amour, un coup de foudre est freiné par le refus du protagoniste d’abandonner sa femme psychologiquement malade depuis qu’elle a accouché d’un enfant mort-né.

Quatre de ses films ont connu d’autres versions par des cinéastes plus lyriques : Une nuit seulement est une libre adaptation de Lettre d’une inconnue de Zweig, quinze ans avant celle de Max Ophuls, et Douglas Sirk réalisera vingt-cinq ans plus tard de sublimes remakes d’Images de la vie (Mirage de la vie), du Secret magnifique et de Veillée d’amour (Les Amants de Salzbourg). On voit d’autant mieux ce qui distingue la grande sobriété de Stahl de ce que l’on a pu appeler « le mélodrame flamboyant ». Comme chez Ozu, le drame n’est pas ici un événement, il est contenu dans la fibre du quotidien, dans la normalité de l’existence. En cela, les récits de Stahl sont moins des déploiements romanesques que des sismographes de la mélancolie. Principalement constitués de longues scènes, qui prennent le temps de saisir la préciosité des instants, et d’ellipses qui produisent de brusques sauts temporels, ils touchent à la définition même de la mélancolie : espérer le bonheur, c’est attendre le prolongement ou le retour d’un instant autrefois vécu dans le présent parfait de l’insouciance, comme si ces quelques heures ou minutes (une simple séquence de film) avaient donné la note juste que l’on passera toute une vie à tenter de retrouver.

Son film le plus connu, l’excellent Péché mortel (1945), représente la face sombre de cette oeuvre, malgré (ou grâce à) ses flamboyantes couleurs. Pourquoi ce qui marche ailleurs ne fonctionne-t-il plus ici, alors que le bonheur semble être idyllique pour ce couple vivant dans un lieu paradisiaque ? Parce que pour Ellen (Gene Tierney), l’image est justement trop parfaite pour durer : maladivement possessive et jalouse, elle détruira tout ce qui pourrait concurrencer son amour, y compris l’enfant qu’elle porte, puis elle-même. C’est comme si Stahl nous disait ici, après ses mélos, que la quête du bonheur est plus heureuse, vitale et durable que le sentiment de l’avoir atteint.

Marcos Uzal

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