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Moisson de muets japonais à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

Rhythmic Triangles/Fighting Cards de Shigeji Ogino (1932).

Moisson de muets japonais à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

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Publié le 8 octobre 2025 par Pierre Eugene

Du 8 au 28 octobre, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé offre une carte blanche au National Film Archive de Tokyo, qui présente des raretés et de grands films japonais de l’ère muette, pour la plupart restaurés et méconnus.

La carte blanche vise la variété des genres : des jidai-geki (fictions historiques) et gendai-geki (fictions contemporaines), des documentaires tournés peu après le grand séisme du Kantô (région de Tokyo) en 1923, qui observent la vie après la catastrophe et les efforts de reconstruction, des films d’animation (dessin animé, stop motion, papier découpé) tournés par des cinéastes indépendants.

L’un d’eux, Shigeji Ogino, se révèle d’une étonnante modernité. Dans une poignée de films graphiques, il anime et déforme des figures géométriques plus ou moins anthropomorphes (comme dans An Expression et Rythme, 1935) ou transforme l’écran en un plafond de verre où s’impriment des pneus et des empreintes (Rhythmic Triangles / Fighting Cards, 1932), rappelant, en plus léger, les études formelles de Hans Richter dans Rythmus 21 ou les fantaisies graphiques de Norman McLaren.

Entre un grand classique de cinémathèque (Une page folle de Teinosuke Kinugasa, 1926), et des débuts de carrière de cinéastes célèbres (Mizoguchi, Naruse, Shimizu…), une séance de trois films de Yasujirô Ozu permet de découvrir, outre Femmes et voyous (1933), ressorti il y a deux ans, deux splendides courts métrages, Le Galopin (1929) et Amis de combat (1929).

Dans le premier, un kidnappeur tente d’enlever un enfant dégourdi qui les martyrise gentiment, lui et son acolyte, jusqu’à les faire fuir. Le second voit deux amis unis dans leur quotidien paupérisé recueillir une demoiselle en détresse, puis se disputer ses faveurs avant de se retrouver de bon cœur quand elle part avec un troisième. Le rythme musical d’Ozu, moins lancinant et étale que dans ses parlants, s’approche de la dextérité joyeuse d’un Keaton : un monde matériel de grands enfants, peu psychologique, où les objets tant prisés par le cinéaste se font monnaie d’échange, manière d’associer physiquement des personnages et de les rendre inséparables, par le jeu ou le soin (le galopin volant la fausse moustache de son ravisseur, les deux amis partageant un œuf ou une cigarette).

The Scent of Pheasant’s Eye de Jirô Kawate (1935).

La vitesse gagnée par les nouveaux moyens de transport (train et voiture) offre aussi de belles envolées en « caméra embarquée » dans l’environnement social stationnaire, saisi de manière quasi documentaire.

Parmi les films méconnus : The Scent of Pheasant’s Eye de Jirô Kawate (1935). Cet audacieux mélodrame adapté d’un récit de Nobuko Yoshiya (1896-1973), autrice lesbienne pionnière, voit dans un cadre campagnard une adolescente tomber follement amoureuse de l’épouse de son frère, amour réciproque entre deux « sœurs » qui se courent littéralement après. Leur relation est moins empêchée par la famille (malgré de multiples crises de jalousie de la cadette) que mise à mal par des coups du sort économiques.

Lire aussi : “Une femme dans le vent de Yasujirô Ozu

Ces bourgeois tranquilles dont le père est conseiller du village (le début observe longuement chacun des villageois le saluer en plan subjectif avant même de nous le montrer) se retrouvent en effet brutalement ruinés dans une accélération typique du mélo : à la faillite de leur banque et la vente aux enchères de leurs meubles, s’adjoint la mort du grand-père et même, devant sa tombe, celle d’un petit chien écrasé par un train à l’arrière-plan.

Au plus proche de l’adolescence sportive et fougueuse, incarnation de la modernité et de l’indépendance, le film déploie ses chassés-croisés sacrificiels en toute ignorance du monde masculin, et donc des mœurs, laissant courir la liberté affective de ses jeunes filles en fleurs.

Pierre Eugène

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