
Morceaux de choix à la Viennale
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Publié le 2 décembre 2025 par
Du 16 au 28 octobre, la vaste sélection de l’autrichienne Viennale, mêlant rétrospectives, inédits et la plupart des films intéressants de l’année, favorisait les échos entre œuvres distantes
Est-ce en raison de l’actualité toujours plus terrible que les films de cette 63e édition de la Viennale semblaient si souvent poser la question de la responsabilité ? C’était en tout cas un fil que l’on pouvait tirer des œuvres aux formes diverses rassemblées par la directrice artistique Eva Sangiorgi.
L’interdépendance des êtres est annoncée dès le titre du moyen métrage de Nathan Silver, Carol & Joy : si on peut le considérer, au premier chef, comme un portrait de Joy, 98 ans, il y associe celui de sa fille (Carol Kane, actrice de Carla et moi), qui vit avec elle, et y insère un tas de contingences quotidiennes.
Remarques sur le stock de café, cours de chant à dispenser et fins de bobines apparentes laissant l’enregistrement sonore courir sur un écran noir viennent apparemment interrompre le récit d’une vie, mais en fait décaler et enrichir le tableau. Tout en montrant la force de caractère de Joy, le film souligne par son approche en quoi son destin est lié à tant d’autres.
La Néerlandaise Digna Sinke, à laquelle le festival consacrait une rétrospective, pose aussi à sa façon la question du libre arbitre dans The Hope of the Fatherland (1982), premier long au sujet étonnant : le journal du lycée qu’elle a fréquenté, où les élèves publiaient notamment de la poésie.
En faisant dialoguer hommes et femmes d’aujourd’hui avec les adolescents qu’ils étaient pour se demander pourquoi si peu ont continué à écrire, la cinéaste tente de s’infiltrer entre l’intime et les injonctions, dans cet interstice où se joue le choix de se conformer à des attentes sociales.
Une question abordée différemment dans un autre film revisitant le lycée, cette fois aux États-Unis : Some of You Fucked Eva de Lilith Grasmug. Prenant pour point de départ un fait divers – l’évanouissement simultané de plusieurs pom-pom girls –, la jeune réalisatrice convoque des images trouvées dont elle met à profit la basse définition, ainsi que le témoignage fictif d’une élève.

À travers la monstruosité de figures pixelisées, un impensé émerge, expliquant en partie le mystère par les injonctions contradictoires s’exerçant sur les corps et l’intériorisation des attentes – tandis que ceux qui les formulent restent aveugles aux conséquences qui en découlent.
Si Aucun autre choix de Park Chan-wook (sortie le 11 février prochain) fait du sentiment d’irresponsabilité un motif comique, le nouveau documentaire de Nikolaus Geyrhalter, Melt, l’interroge subtilement en croisant différents états de la neige.
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Alors qu’il s’ouvre sur la description du quotidien d’un village japonais où l’on cultive un riz de grande qualité et où l’on estime qu’il faut vivre sur place plusieurs années pour se familiariser avec les différents aspects de la poudreuse, on se retrouve de proche en proche à Val-d’Isère, symptôme parmi d’autres d’une cécité délibérée concernant le climat, où un technicien en charge du système produisant la neige artificielle assume de vendre du rêve aux vacanciers qui veulent croire que le monde n’a pas changé.
En articulant différentes réalités, traçant progressivement un chemin, le cinéaste autrichien permet de prendre du recul face aux logiques individuelles.
Urchin d’Harris Dickinson (en salles le 11 février prochain) aborde tout aussi finement la question du déni. Quand Mike, ex-SDF en voie de réinsertion, perd les pédales, les belles ellipses du film grèvent progressivement la sympathie que ce personnage de loser enfantin suscite spontanément pour nous faire prendre conscience que nous avons, comme lui-même, préféré fermer les yeux sur sa violence.
Olivia Cooper-Hadjian
Anciens Numéros



