
Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi
ActualitésCritique
Publié le 22 septembre 2025 par
Deux femmes piégées se regardent. Sepideh Farsi, cinéaste iranienne, dialogue via WhatsApp avec Fatima « Fatem » Hassouna, photo journaliste gazaouie. La première est comme enfermée hors de son pays : elle-même ex- photographe ayant couvert nombre de manifestations anti-mollahs, Farsi s’est exilée après avoir été condamnée pour dissidence. La seconde dit habiter « une prison à ciel ouvert » depuis le début des bombardements de Gaza par l’armée israélienne. La réalisatrice assure d’emblée voir un peu d’elle-même en cette jeune femme risquant sa vie pour documenter un massacre. Rivée à l’écran de Sepideh où apparaît le visage de Fatem, souvent rayonnant malgré les périls qui la menacent et emportent ses proches, la mise en scène renforcera ce jeu de miroirs.
On a pris l’habitude des portraits documentaires dont les sujets semblent devenir, face à leur webcam, les amis du cinéaste et du spectateur. De là à chercher en eux un reflet, il y a un pas.Le franchir pose ici problème : à moins de subir soi-même la guerre, peut-on se voir comme dans une glace en dévisageant un être qui survit dans les flammes ? Sans pour autant couper les canaux de l’empathie, ce postulat d’une équivalence existentielle entre les deux femmes paraît discutable. Surtout s’il cache la prétention de faire éprouver à tous la souffrance d’Hassouna. « Tu vas souffrir avec moi », sourit-elle tristement au début. Est-ce seulement possible ? L’échange trouve néanmoins son sens plus tard, à mesure qu’il témoigne justement d’une symbiose irréalisable. La photographe est enfermée dans une image friable, lointaine. C’est une lueur proche de l’extinction : les pixels se figent parfois dans une stase angoissante, la connexion est fra- gile, on perd contact. Le cœur du projet est là, dans l’expression non pas de « ce que peut le cinéma », mais de ses limites. Plus document que documentaire, le film semble prendre conscience qu’il ne saura rendre compte du hors-champ qui entoure une telle image.

« Fatem m’a prêté ses yeux pour voir Gaza », disait pourtant Farsi en le présentant à la projection de l’Acid à Cannes. Plutôt qu’un miroir, elle rechercherait donc un prisme permettant de scruter un enfer opaque – les journalistes à même de le montrer étant nombreux à s’y faire tuer. Si les regards de l’une et de l’autre fusionnent, c’est au sens où ils scrutent chacun un brouillard. Les photos d’Hassouna révèlent un horizon obstrué par la poussière, comme si l’observatrice était face à une situation qui ne pouvait s’envisager pleinement, même de l’intérieur. Lorsque Farsi la questionne sur son sentiment face au carnage terroriste du 7-Octobre, Hassouna répond de biais, parle de « montrer au monde que la Palestine peut se défendre », puis, comme pour ravaler toute justification, sanglote et élude en s’avouant accablée par le sujet. L’intérêt de la scène est de discerner non pas ce que pense précisément Fatem, mais le fait qu’elle peine à le penser.
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Au quotidien qu’elle décrit, Farsi oppose le confusionnisme des reportages télé. Elle zoome – lourdement – sur les bouches pour insister sur le bla-bla cryptant la réalité. Manière de relier deux cécités : de près comme de loin, l’horreur est floue. Le mérite du documentaire est de découper dans cette brume une maigre fenêtre de communication hésitante mais sincère. La mort de Fatem, tuée par un missile israélien, vient clore ce qui s’offre plus comme lambeau que comme œuvre : l’autrice n’a pas la main sur cette clausule épouvantable. In fine, l’écran noir semble bien tendre un miroir où se reflète l’im- puissance de Farsi, qui est aussi celle du cinéma et la nôtre.
Yal Sadat
PUT YOUR SOUL ON YOUR HAND AND WALK
France, Palestine, Iran, 2025
Réalisation Sepideh Farsi
Scénario Sepideh Farsi
Image Sepideh Farsi
Montage Sepideh Farsi
Son Pierre Carrasco
Musique Cinna Peyghamy
Production Rêves d’Eau Productions, 24images Production
Distribution New Story
Durée 1h 50
Anciens Numéros