
L’Angleterre d’après-guerre à Locarno
ActualitésFestival International du Film de LocarnoFestivals
Publié le 6 octobre 2025 par
Au festival de Locarno, une rétrospective consacrée au cinéma anglais de l’après-guerre, assortie d’un album collectif paru en France, met en avant la place centrale des réalisateurs exilés et des femmes cinéastes.
C’est une période relativement méconnue du cinéma anglais qui est mise en lumière dans cette vaste rétrospective de quarante-cinq films située entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la vague moderne du swinging London. Une période sombre où la population britannique est encore très marquée par le traumatisme de la guerre, la misère, l’austérité et la politique de rationnement.
La belle idée du programmateur Ehsan Khoshbakht (codirecteur d’Il Cinema Ritrovato à Bologne) consiste à s’en tenir aux films de cette époque abordant les préoccupations du moment, renonçant volontairement à un bon nombre de classiques (les films historiques ou de guerre). Ces « différentes nuances de cinéma populaire ancrées dans une réalité dont elles s’écartent selon leurs propres partis pris génériques, auteuristes ou formels » exclut d’emblée bon nombre de clichés habituellement associés au cinéma anglais. En premier lieu, celui qui réduit la production de l’époque aux films de studio (Ealing, Pinewood, Shepperton) tournés en intérieur et caractérisés par une dimension théâtrale.
Les extérieurs laissent apparaître des villes détruites, déchiquetées par les bombardements. Ruines, terrains vagues, immeubles évacués sont le théâtre d’une série de films noirs, sans doute le genre le plus passionnant de la période, qui traduisent par leur violence inouïe toute sa dureté. C’est le cas de Je suis un fugitif du cinéaste d’origine brésilienne Alberto Cavalcanti (1947), de Tiger in the Smoke de Roy Ward Baker (1956) ou de Rapt de Charles Crichton (1952, l’un des premiers grands rôles de Dirk Bogarde), qui mettent en scène des fugitifs traqués, solitaires évoluant dans un univers d’incertitude et d’angoisse.

Ce climat paranoïaque est à mettre en lien avec un autre aspect central du programme : le grand nombre de cinéastes étrangers, notamment des Américains blacklistés qui ont trouvé refuge en Angleterre, exorcisant leur propre traumatisme par le biais du cinéma de genre. Edward Dmytryk (d’abord dénoncé comme sympathisant communiste, puis dénonciateur de plusieurs de ses collègues) réalise en Angleterre le formidable et méconnu L’Obsédé (1949), Joseph Losey tourne à Londres un pamphlet contre la peine de mort, Temps sans pitié (1957). Quant à Jules Dassin, il réalise en Angleterre l’une de ses meilleures œuvres, Les Forbans de la nuit (1950). L’un des points d’orgue du programme était Train d’enfer de Cy Endfield (1957), lui aussi victime de la chasse aux sorcières. Dans le milieu des camionneurs, les manifestations de violence, d’oppression, voire de sadisme, s’intègrent dans une réflexion sur les rapports de classes.
Lire aussi : “Cercle polar nordique” – Rétrospective films noirs scandinaves à Il Cinema Ritrovato de Bologne.
Aux côtés de ce cinéma « d’hommes », « Great Expectations » a eu le mérite de mettre en évidence le rôle fondamental joué par des femmes-cinéastes. Durant la guerre, nombre d’entre elles ont pu intégrer des postes clefs dans les services cinématographiques de l’armée. Loin de se limiter à leurs contributions en tant que productrices, scénaristes ou monteuses, la rétrospective a présenté les films de quatre femmes réalisatrices : Muriel Box, Jill Craigie, Margaret Tait et Wendy Toye.
La plus prolifique étant la première, autrice de treize longs métrages, notamment des comédies dynamitant la structure familiale traditionnelle et le rôle de la femme dans le monde du travail, comme The Happy Familly (1952) ou l’hilarant Simon et Laura (1955). Dans une veine plus expérimentale, soulignons le formidable court métrage de Wendy Toye primé à Cannes en 1953, The Stranger Left No Card (1952), que le président du jury Jean Cocteau avait défini comme « un petit chef-d’œuvre diabolique ».
Ariel Schweitzer
Great Expectations. British Postwar Cinema (1945-1960), sous la direction d’Ehsan Khoshbakht. Les éditions de l’oeil (en anglais).
Anciens Numéros



