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Une bougie pour le diable d’Eugenio Martín (1973)

Une bougie pour le diable d’Eugenio Martín (1973). © Carlotta Films

Une bougie pour le diable d’Eugenio Martín (1973)

ActualitésCritique

Publié le 2 octobre 2025 par Vincent Malausa

Une bougie pour le diable une des rares incursions dans l’horreur d’Eugenio Martín, artisan prolifique du cinéma populaire espagnol spécialisé dans le western, refait surface grâce à un coffret édité par Carlotta.

Supérieur à Poupée de sang de Carlos Puerto (l’autre titre de ce coffret « Terreur ibérique »), le film aborde la question du fanatisme religieux à travers la dérive meurtrière de deux soeurs bigotes, Marta et Veronica, accueillant dans leur pension de jeunes touristes dévergondées.

Par-delà sa description minutieuse de la vie d’un petit village du sud de l’Espagne livré au tourisme de masse naissant en pleine dictature franquiste, Une bougie pour le diable creuse surtout le conflit intérieur qui ronge son génial duo de sœurs maudites, happées l’une et l’autre par des désirs inavouables dans l’atmosphère irrespirable de l’été. Le cinéaste fait de ce trouble sensuel le point aveugle d’un récit où les jeux de report et de suspension (les parenthèses érotiques, les allées et venues dans la pension, les trouées gore) déjouent et opacifient la mécanique attendue des meurtres en série. Ces meurtres surprennent par leur beauté plastique (le vitrail brisé et ensanglanté du début), rompant avec le réalisme ambiant et ramenant aux éclats du giallo par leur dimension de rituels.

Une bougie pour le diable d’Eugenio Martín (1973). © Carlotta Films

d’Eugenio Martín (1973). © Carlotta Films

C’est que l’auberge elle-même est un petit théâtre dont le cinéaste déplie et replie les espaces à l’envi (le restaurant bondé, la cuisine, la terrasse, la cave, l’escalier central) en un admirable jeu de renversement entre ouverture et fermeture, isolement et promiscuité. De la petite fenêtre à travers laquelle les soeurs épient les villageois et les proies qui s’apprêtent à investir l’auberge, le film fait son point de bascule : celui où la réalité extérieure du franquisme (un paisible village pittoresque) est brusquement ravalée en espace mental détraqué (la pension où croupissent les obsessions).

Avec sa grande cave aux jarres pleines de cadavres, sa cuisine organisée comme un laboratoire de l’horreur (la planche à découper, le sinistre four), son grand salon où ont lieu tous les meurtres, l’auberge apparaît comme une petite cathédrale d’images morbides, baroques et délirées du franquisme. Si le film, coproduit avec un studio anglais, voisine avec une autre atroce histoire de pension mortelle (celle de L’Étrangleur de Rillington Place de Fleischer), c’est moins par sa puissance d’effroi que par la réelle émotion que suscite le destin pathétique de ses deux victimes paradoxales de la fabrique de mort franquiste : Marta et Veronica.

Vincent Malausa

UNE BOUGIE POUR LE DIABLE
Espagne, 1973
Réalisation Eugenio Martín
Scénario Eugenio Martín, Antonio Fos
Photographie Pablo G. Del Amo
Musique Antonio Pérez Olea
Interprétation Judy Geeson, Aurora Bautista, Esperanza Roy, Víctor Barrera
Production José López Moreno
Édition Coffret “Terreur Ibérique”, Carlotta Films
Durée 2h02

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