
Queer de Luca Guadagnino
ActualitésCritique
Publié le 26 février 2025 par
Fin des années 1940 : Lee, un Américain dans la force de l’âge (Daniel Craig) traîne sa gourme de drogué mélancolique au Mexique, levant des jeunes mecs plus ou moins hétéros, avant de convoler vers l’Amazonie avec Allerton (Drew Starkey), son amour du moment, à la recherche du Graal des camés: l’ayahuasca. L’adaptation rétro du roman autobiographique de Burroughs lorgne moins vers le Festin nu viscéral et marrant de Cronenberg que vers des artifices du Querelle de Fassbinder : fétiches (pistolets, pendentifs, musclés lookés), déambulations dans des maquettes grandeur nature et chromos orange de couchers de soleil – le poisseux en moins. Plus clean, Guadagnino cherche ses référents du côté de la photo années 1980 (clichés de Burroughs, ambiance de Nan Goldin, pénombre lynchéenne et color block almodovarien), composant son film, tout en ralentis, faux raccords et plans de coupe abrupts sur fond de nappe musicale surprésente, comme une sorte de dispositif chronophotographique centré sur Daniel Craig. Rapetissé face aux grands garçons qu’il séduit, l’acteur entravé est scruté dans son rôle de composition: gentiment follisé, au départ digne et ridicule, il devient finalement émouvant, avant d’être fossilisé.
Démarrant comme une fiction homo offerte à la reconnaissance, continuant comme un remake de série B à la Mandico et s’achevant sur des montages oniriques type art contemporain, le récit linéaire mais haché sous forme de coïtus interrompus offre une image certes assagie du roman de Burroughs, mais pas inintéressante en ce qu’elle le tire vers une fantasmatique distanciée et apathique, pas si éloignée du pessimisme de l’écrivain (« Lee vit dans ses yeux un curieux détachement, le calme impersonnel d’un animal ou d’un enfant»). Captant moins l’héritage ou l’énergie Beat, aujourd’hui bel et bien enterrés, le film en propose une sorte d’exposition muséographique, aux formes impures et parfois inventives.
Pierre Eugène
Anciens Numéros