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Fire Walk

Editos

Publié le 5 février 2025 par Marcos Uzal

Quand le feu qui depuis le 7 janvier sévit à Los Angeles et ses alentours s’est approché du quartier d’Hollywood, provoquant son évacuation, l’ombre de la destruction qui hante depuis toujours ce qui fut autrefois qualifié de « nouvelle Babylone » a une fois encore, et comme rarement, plané au-dessus de la ville. Il y aurait une histoire à écrire de cet imaginaire catastrophique lié à Hollywood, comme allégorie à la fois de la grandeur et de la fragilité de cet empire de carton-pâte. Les incendies y auraient une part importante, au moins depuis celui qui détruisit les réserves de la Fox le 9 juillet 1937, réduisant à jamais en cendres la plupart des films muets produits par la compagnie. Et ce qui est considéré comme le plus grand roman sur Hollywood, The Day of the Locust de Nathanael West, publié deux ans plus tard, en 1939, ne s’intitule-t-il pas en français L’Incendie de Los Angeles ? La dernière fois que j’ai vu Hollywood brûler au cinéma, c’était dans le très mauvais Blonde d’Andrew Dominik, qui s’ouvrait sur une séquence traumatique de la vie de la jeune Marylin Monroe, où elle était conduite le long des collines en flammes de Mulholland Drive par sa mère en pleine crise psychotique, voulant voir le feu de plus près en accusant sa fille d’être la cause de ses malheurs. Face à cette surenchère, je m’étais dit que seul David Lynch pourrait filmer une telle scène en étant capable de comprendre à la fois la folie de la mère, la solitude de l’enfant et la puissance du feu.

Donc, tous les cinéphiles ont voulu voir dans cet incendie l’énième signe de la chute de l’empire hollywoodien. L’effet le plus évident de ce réflexe ont été les photos générées par IA montrant sur les réseaux sociaux le fameux panneau des lettres d’Hollywood entouré par le feu ou carrément en flammes. Mais tricoter avec ces images fantasmées ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : les hectares calcinés, les bâtiments détruits, dont certaines précieuses œuvres architecturales (à Pasadena, notamment) et, bien sûr, toute la douleur humaine provoquée par cette catastrophe. Quant à l’industrie hollywoodienne, son activité s’est arrêtée soudainement. Certains sont allés jusqu’à dire qu’après la pandémie et la grève des scénaristes de 2023, les incendies portent un troisième coup à cette grande usine, qui pourrait lui être fatal. Mais à l’heure où j’écris, les choses semblent reprendre doucement, les Oscars se dérouleront à la date prévue, on recommence à tourner des films… Cependant, une autre calamité a eu lieu : Donald Trump, a annoncé vouloir redonner à Hollywood sa grandeur et, dans ce but, il a nommé trois acteurs ultra-conservateurs comme ambassadeurs, Sylvester Stallone, Mel Gibson et Jon Voight. « Ces trois personnalités talentueuses seront mes yeux et mes oreilles, et je suivrai leurs recommandations. L’objectif est clair : retrouver, comme pour les États-Unis d’Amérique, l’Âge d’or d’Hollywood ! », a-t-il déclaré. La nouvelle est tellement ubuesque, y compris comme contrechamp de l’incendie, qu’elle est impossible à analyser sinon comme un symptôme absurde d’une autre forme de décadence, fascisto-clownesque.

La veille de cette annonce de Trump, le 15 janvier, David Lynch est mort. Son décès est assez directement lié aux incendies de Los Angeles : alors qu’un emphysème le tenait cloîtré chez lui, il a dû quitter sa maison menacée par les flammes pour se réfugier chez sa fille, déplacement qui a aggravé son état jusqu’à l’issue fatale. Alors, l’imaginaire recommence à tricoter, tant le feu est important dans son cinéma et tant il a filmé un état ultime d’Hollywood, aussi incandescent que terminal, en particulier dans Mulholland Drive. Il est donc mort pendant l’incendie de la ville qu’il a tant aimée et filmée, et ceci cinq jours avant le 20 janvier, qui est à la fois la date de la deuxième investiture de Trump (né comme lui en 1946) et celle où il aurait dû fêter son 79e anniversaire. En 2018, Lynch avait écrit à Trump une lettre ouverte qui disait notamment : « Vous provoquez souffrance et division. […] La seule chose à faire, c’est de traiter les gens comme vous aimeriez qu’ils vous traitent. »

Marcos Uzal

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