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À Clermont, le casque et la plume

© Cahiers du Cinéma
23 janvier 2025 à 18:00

À Clermont, le casque et la plume

FESTIVAL. Vingt-six films tournés entre 2004 et 2023, comme autant d’invitations à tendre l’oreille : la rétrospective «Le bruit qui court» est à découvrir du 31 janvier au 8 février au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand.

Il ne faut pas s’y tromper : la critique est un exercice d’humilité. Quiconque a tenté de décrire la composition, la matière, la dynamique d’un plan le sait. Bien vite, la syntaxe fige, le vocabulaire manque. D’où, en partie, le privilège accordé au récit et aux personnages. D’où, aussi, que le son n’est presque jamais évoqué. Autant essayer de pêcher à la ligne un torrent ou un nuage.

Pour activer l’écoute, le plus simple est encore de rendre visible le travail du son. C’està-dire, d’abord, une non-coïncidence avec l’image. Question de technique, de matière, d’échelle. Décalages petits ou grands, qui donnent aux perchistes, doubleurs et autres bruiteurs des airs de conspirateurs ou de magiciens. Volontiers virtuose, Hacked Circuit de l’Américaine Deborah Stratman (2014) se compose d’un unique plan circulaire glissant de la rue à un studio d’enregistrement avant de retourner à la rue. La dernière séquence de Conversation secrète, durant laquelle l’espion Harry Caul démonte son appartement à la recherche d’un micro caché, se fait entendre, avant que l’on ne découvre un ingénieur et un bruiteur en train d’en recomposer les différents éléments sonores. Sous ses allures de fable parano, le chef-d’œuvre de Francis Ford Coppola tentait d’approcher le mystère de l’Incarnation. L’ambition n’est ici pas métaphysique, mais l’effet progressif d’aimantation son/ image s’avère saisissant, d’autant que l’équipe de tournage flotte dans un parfait silence. Dédié au monteur Walter Murch et à Edward Snowden, le film suggère que l’écoute est toujours une sur-écoute – un piège, une hantise.

Parfait prolongement, Plot Point de Nicolas Provost (2007) s’immerge dans un carrefour new-yorkais. Des voitures, des passants, des policiers. Rien que de très ordinaire. Mais une nappe de drone nous met en alerte. Quelque chose pourrait bien se tramer. Saisie au téléobjectif, la foule s’impose comme une masse floue et ondoyante, tandis que des murmures – inquiets ? – se glissent parmi les couinements de freins et les rires lointains. Double saturation sensorielle, sans véritable raccord. Un champ-contrechamp, une figure récurrente ou un zoom brutal ouvrent ici et là des pistes d’interprétation, mais le spectateur finit par se rendre à l’évidence : il ne se raccroche qu’à des clichés. Tourné en caméra cachée, Plot Point fabrique un pur suspense, sans autre objet que la perception même.

Sur le versant de la comédie cette fois, Clanker Man de Ben Steiner (2017) s’offre comme une exploration malicieuse d’un paysage urbain ordinaire. À la faveur d’un faux reportage, un employé municipal nous présente sa mission : habiller une quelconque bourgade de ses bizarreries familières. Gant solitaire planté sur la grille d’un parc, poupée dérivant au fil de la rivière, livre abandonné dans un abribus, mais aussi prénom bramé au coin des rues et cliquetis en tous genres. L’humour, certainement british, jaillit du frottement entre l’absurdité de la mission et l’expertise qu’elle suscite. Dans le rôle principal, Eli Silverman s’avère aussi penaud et dévoué que nécessaire. La balade s’achève par un hurlement fou, tentative pour le petit employé d’exorciser son aliénation et de faire résonner un vide cosmique, celui précisément qu’il essaye de peupler. Et si, en effet, nous qui prêtons si peu attention à notre environnement sonore, nous retrouvions soudain plongés dans un silence infini?

Raphaël Nieuwjaer

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