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Arménie, les vies à l’arrière

© Cahiers du Cinéma
16 janvier 2025 à 18:00

Arménie, les vies à l’arrière

FESTIVAL. La 8e édition du pluridisciplinaire Week-end à l’Est, rendez-vous parisien de fin novembre consacré cette année à Erevan et à l’Arménie, a mis en valeur une nouvelle génération de réalisatrices de documentaires.

Passés les monts Paradjanov et Pelechian, chacun en bonne place dans le programme cinéma du festival, un autre paysage a pris forme sur l’écran parisien du Christine Cinéma Club: celui d’un courant documentaire à l’écoute des troubles du pays, surtout porté par les femmes, aussi bien devant que derrière la caméra. Portraits d’une Arménie rurale, Village de femmes de Tamara Stepanyan (2019) et Tonratun, l’histoire de l’Arménie racontée par les femmes d’Inna Mkhitaryan (2022, voir Cahiers nº 792) gravitaient tous deux autour du foyer, et même du fournil, espace accueillant aussi bien la remémoration intime (dans le second) que la camaraderie et la lassitude (dans le premier) pour celles qui gardent la terre et les enfants en l’absence de leurs maris, partis travailler en Russie. Deux films centrés sur des femmes qui parlent, une poignée de sacrifiées que les cinéastes ne figent pas en martyres, mais nous présentent comme garantes d’une mémoire culturelle fragile. 1489 de Shoghakat Vardanyan (2023) laissait éclater ce qui couvait au fond de ces chroniques en apparence hors du temps: en 2020, alors que reprend la guerre du Haut-Karabagh (appelé l’Artsakh par les Arméniens, violemment reconquis depuis par l’Azerbaïdjan), la réalisatrice a filmé ses parents et elle-même dans l’attente de nouvelles du frère disparu sur le front. Des choix ténus de mise en scène, un téléphone posé dans le salon ou sur la table d’un repas de Noël, suffisent à limiter le voyeurisme et cadrent un désastre à taille humaine. Car nous l’apprenons en cours de route : Soghomon, le frère, est mort. Il ne reste de lui qu’un matricule (1489) et quelques lambeaux méconnaissables. Des cent pas du père, rendu fou de ne pas savoir, aux osselets du fils tenus en main comme on tenait la veille un moineau égaré, le film enregistre avec un aplomb glaçant les répercussions de la guerre, qui brutalise les corps mais aussi l’intimité des familles restées à l’arrière.

Élie Raufaste

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