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Adolescence de Jack Thorne et Stephen Graham

© Cahiers du Cinéma

Adolescence de Jack Thorne et Stephen Graham

ActualitésCritique

Publié le 23 juin 2025 par Guillaume Orignac

 

Qui a le plus gros plan-séquence ?

Propulsée en haut des audiences Netflix, succès viral à l’origine d’un débat politique au Royaume-Uni sur la criminalité juvénile, Adolescence a-t-elle autre chose à vendre que sa prouesse événementielle ? Oui, a répondu son acteur principal et co-créateur, Stephen Graham : la prouesse de son tournage. Lequel a tenu en quatre uniques plans-séquences, vantés comme des tours de force, pour chacun des quatre épisodes de la série.

Si Adolescence a su mettre en avant son sujet de société en parallèle de son exploit technique et esthétique, c’est que l’un et l’autre cherchent à s’épauler mutuellement. Au drame social, centré sur les conséquences du meurtre perpétré par un adolescent sur une camarade de classe qui se moquait de lui, le plan-séquence offrirait la glu du réel. Collée aux pas de ses personnages, la mise en scène tente de dessiner le visage d’une Angleterre prolétaire mais digne. Des couloirs d’un commissariat (1er épisode) à ceux d’un collège public en état d’épuisement (2e épisode), des déshérences de la psychiatrie judiciaire (3e épisode) à la vie ordinaire de la petite banlieue pavillonnaire, le plan-séquence dessine une exploration géographique de son drame social. À l’autre bout, la fiction à sujet amplifie la mise en scène en injectant une dramaturgie politique dans une narration serrée autour de noeuds interpersonnels ou intimes. Chaque dialogue, chaque affrontement filmé comme une pièce de théâtre est ainsi lesté de représentations sur les services publics ou la jeunesse à l’ère post- MeToo, si bien que le Premier ministre britannique a cru bon de parler de « documentaire » à l’endroit d’une fiction pourtant très fabriquée. Une forme consentie de lapsus qui révèle l’échec de la série comme si l’attention portée sur son sujet comme sur son tournage servaient à en couvrir la faille béante.

Adolescence ne prend, en effet, pas la peine de regarder ses personnages autrement que comme les pièces du débat social soutenant son projet. Un cri, rentré ou évacué, une crispation du visage ou un débordement de violence ne sont que les symptômes d’une nécrose de la société britannique. Une déchirure dans le tissu social dont les causes sont ici résumées en de vaguesformules éditoriales sur les réseaux sociaux ou le masculinisme, nourrissant quelques séquences inquiètes sur l’idée très convenue d’une jeunesse désormais incompréhensible aux yeux des adultes. Pour pallier alors sa réduction sociologique devant ce crime juvénile dont elle maintient la part insondable, la série fait donc de son plan-séquence le moyen de regarder le secret d’un coeur humain. Quoi de mieux, en effet, que de filmer en continu le visage d’un acteur ? Les deux derniers épisodes sont alors l’occasion de mettre en scène le fils puis le père, soit la source du mystère et son incompréhension, en s’attachant à la fixité de leur portrait. Mais le dispositif produit un effet déréalisant, tant il transforme le jeu des comédiens en tour de force consistant à maintenir coûte que coûte leur personnage au milieu des aléas techniques du tournage. Le portrait sensible se mue en performance d’acteur, dont la réussite supposée justifie l’intense campagne promotionnelle dont elle a été l’objet. À la fin, la forme épaule moins le fond qu’elle ne l’écrase sous ses acrobaties démonstratives, dans un geste narcissique de créateur dont la rutilance paralyse la finesse de trait.

 

Guillaume Orignac

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