
Clermont-Ferrand, à feu et à sang
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Publié le 14 mars 2025 par
FESTIVAL. Offerte comme un « portrait mouvant du monde» et de son lot de cauchemars, la 47e édition du Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand a laissé une large place à l’expression d’une colère explosive et d’une violence en basse continue.
Le somptueux film d’animation en peinture à l’huile de Florence Miailhe, Papillon, fait glisser sur une toile vernie le nageur juif algérien Alfred Nakache, de la Méditerranée aux piscines olympiques, jusqu’au camp nazi où il a été déporté. À l’image de ces imbrications de traits et de couleurs, de cette fluidité aqueuse, nombre de films ont montré une violence fondue, non diluée mais cruellement intégrée au quotidien des personnages, à leur imaginaire, et régulièrement enceinte d’une forme d’humour larvé. Violence de la guerre au Liban dans Et s’ils bombardaient ici ce soir? (Samir Syriani), où un couple pragmatique disserte sur le meilleur emplacement de son lit pour éviter de recevoir, en cas d’explosion, des éclats de verre ; violence économique de l’Angleterre postBrexit dans Rhubarbe, rhubarbe (Kate McMullen), qui oppose en des plans répétitifs et de plus en plus courts la culture nocturne, empreinte de magie, de ces plantes éclairées à la bougie, et la cadence agressive du trafic routier, tonitruant, voisin de cette petite exploitation agricole en manque de main-d’œuvre. Comme un pendant aux fictions des autres sélections, la compétition Labo réunit des films « au croisement de différentes disciplines artistiques, mélangeant les genres, sortant de la sacro-sainte narration, allant chatouiller l’art vidéo», comme la présente Calmin Borel, qui la coordonne depuis sa création en 2000. Elle permet aujourd’hui à la dystopie de venir griffer l’image de manière frontale, quitte à la faire exploser.
Dans La Théorie de l’égrégore, le souvenir de La Jetée de Marker est égratigné par l’intelligence artificielle avec laquelle ont été fabriquées les images du film d’Andrea Gatopoulos : tandis qu’une voix off raconte une épidémie de morts brutales causées par la lecture ou la prononciation de certains mots inconnus, des images immobiles en noir et blanc défilent, intégrant des bouts d’éléments identifiables (bâtiments, visages) et d’autres aux contours indistincts, à l’artificialité diffuse et d’autant plus cauchemardesque. Conçu en animation 3D à partir d’un logiciel de création de jeux vidéo, La Fille qui explose du duo Caroline Poggi et Jonathan Vinel donne au mal-être de son personnage la forme de désintégrations littérales et répétitives, d’un corps certes immortel mais aussi composite, boyaux sortis et bouche cousue, d’une vie ruinée sans game over, là encore rythmée par une voix off à la première personne, calme, faite d’une suite d’aphorismes sur une colère contemporaine, un général « attentat au bonheur». Club Bunker des artistes M+M (Marc Weis et Martin De Mattia), conçu comme le second volet d’une trilogie inaugurée par Mad Locataire (sélectionné à ClermontFerrand en 2019), étouffe ces voix humaines en déléguant à d’autres figures, silencieuses, un même pouvoir d’inquiétude. Des mantes religieuses et des phasmes sont filmés par une caméra 3D macroscopique dans un décor miniature aux murs tagués, glauque et abandonné. Divisé par six fondus au noir comme de lents battements de paupières, le film parvient à faire du comportement et de la mobilité des insectes les manifestations d’un état second où se côtoient, dans l’amalgame des espèces, la sexualité et la cruauté. Leur vie de mantes et de phasmes pleinement retrouvée à la fin du film, au cœur d’une forêt, a priori libérée de l’analogie, émeut autant qu’elle fait encore craindre une rixe, une guerre des gangs. Comme dans Who Loves the Sun d’Arshia Shakiba, où la dense fumée noire d’une raffinerie de pétrole vient lécher l’écran et faire palpiter la pollution comme une créature autonome, l’humain s’insinue, même absent, là où persiste une forme ou une autre d’agression.
Mathilde Grasset
Anciens Numéros