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La Chambre de Mariana d’Emmanuel Finkiel

© Cahiers du Cinéma

La Chambre de Mariana d’Emmanuel Finkiel

ActualitésCritique

Publié le 23 avril 2025 par Charlotte Garson

La Chambre de Mariana d’Emmanuel Finkiel (2024)

Un mois après La Cache de Lionel Baier, construit autour de l’interstice où s’était dissimulé un père de famille juif pendant l’Occupation, La Chambre de Mariana semble présenter le revers de ce vide tenu secret longtemps après. Ici, le réduit où l’enfant (inventé par Aharon Appelfeld à partir d’un matériau autobiographique) trouve refuge dans le Czernowitz occupé de 1942 apparaît moins comme un repli de l’histoire que comme un lieu imposant au film ses dimensions. Si ce placard est vivable, c’est qu’Hugo (Artem Kyryk), juif confié par sa mère à une amie non juive, va bientôt en étendre les limites aux murs d’une chambre. Mariana (Mélanie Thierry, qui a appris l’ukrainien pour ce film), prostituée affectueuse, a l’audace de loger ce gamin dans la mai- son close où elle vit et travaille, malgré une maquerelle et un tenancier qui n’ont aucune envie de jouer les Justes. Emmanuel Finkiel se concentre moins sur le quotidien de l’établissement ou le destin singulier des Juifs ukrainiens que sur la façon dont la relation avec Mariana maintient Hugo dans la vie. Au suspense (sera-t-il découvert ? quand pourra-t-il sortir ?) se substitue une durée ductile qui rend la question spatiale obsédante, pour le cinéaste comme pour le personnage. Le premier ménage des brèches pour rendre la pièce poreuse au monde. Le second étend à des dimensions vivables l’étroitesse d’un tombeau, tâche qui se révèle aussi celle de son hôte, presque aussi confinée que lui, usée par l’alcool et les rapports forcés avec l’occupant. Peu à peu, les souvenirs en images et en sons du passé familial d’Hugo s’effacent sous ceux d’une sexualité dont il est témoin. Moins inspiré une fois que le garçon s’aventure au-dehors, Finkiel réussit dans cette deuxième partie un geste risqué : l’enfant dont l’environnement visuel a été restreint pendant des années affronte à peine sorti la vue insoutenable d’un charnier. Elle surgit et brûle comme si c’était le premier contrechamp du film. Et même, le seul.

Charlotte Garson

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