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No Other Land de Basel Adra, Hamdan Ballal, Yuval Abraham et Rachel Szor

© Cahiers du Cinéma

No Other Land de Basel Adra, Hamdan Ballal, Yuval Abraham et Rachel Szor

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Publié le 5 mars 2025 par Raphael Nieuwjaer

Du 5 au 18 mars 2025, Best of Doc #6 vous propose de retrouver partout en France et dans votre salle de cinéma, dix des meilleurs films documentaires sortis durant l’année 2024. Récompensé de l’Oscar du meilleur documentaire, No Other Land fait partie de la programmation du festival et a également remporté le Prix Coup de Cœur du Jury Jeune Best of Doc. À cette occasion, lisez la critique du film parue en octobre dernier (Cahiers nº 814, octobre 2024). 

Il est difficile, devant No Other Land, de ne pas être ému. Difficile de ne pas être touché par ce jeune pigeon retrouvé sain et sauf dans une anfractuosité après que son abri a été détruit à la tractopelle. De ne pas être indigné par la suffisance et la brutalité des soldats israéliens, sourds aux interpellations des villageois palestiniens dont ils fracassent semaine après semaine les lieux de vie. De ne pas être bouleversé par le sort de cet homme blessé par balle pour s’être opposé à la saisie d’un groupe électrogène, et qui mourra quelques années plus tard, empêché de recevoir les soins appropriés. De ne pas être horrifié par la violence déchaînée des colons, dont les incursions sont protégées par Tsahal. De ne pas être en colère devant l’injustice répétée, justifiée, érigée en principe de gouvernement.

Ces émotions, vingt minutes de scrolling sur des pages dédiées à la cause palestinienne les susciteraient également. Et, de fait, tournées avec un téléphone ou une petite caméra numérique par Basel Adra, jeune habitant devenu par la force des choses journaliste, de nombreuses images de No Other Land avaient d’abord vocation à être diffusées sur les réseaux sociaux. Venant après, le cinéma ne peut que s’interroger sur le devenir de ces documents, au-delà leur éventuelle viralité. Par le montage notamment, le film cherche à construire une autre perception, moins épidermique. À Yuval Abraham, reporter et activiste israélien venu de la ville voisine de Be’er Sheva, Adra dit qu’il est un «enthousiaste». Le mot n’est pas un compliment. Conscient des limites de son auditoire, Abraham aimerait tout de même que ses publications aient un effet sensible, mesurable – les statistiques de fréquentation entretenant cet espoir. Son ami lui rappelle les vertus de la patience. Colère froide, calme détermination. Le combat ne dure-t-il pas depuis des décennies ?

Documentant le projet de l’État israélien de transformer Masafer Yatta, région agricole située dans les montagnes de Cisjordanie, en terrain d’entraînement militaire, No Other Land trame ainsi différents régimes d’images et différentes temporalités. Si les vidéos d’Adra alimentent parfois les journaux télévisés, elles s’intègrent aussi aux archives familiales et communautaires. On y découvre Basel enfant, quand au début des années 2000 son père organisait les premières manifestations. Vigueur de cet homme, riant, blaguant, et dont l’une des plus anciennes vidéos le montre en colosse mis à terre devant son fils. Dans la voix off de Basel résonne la lassitude d’une vie qui n’aura été vécue que sous la menace de l’expulsion, du déracinement. Mais, fardeau et puissance, la culture militante se transmet de proche en proche, de génération en génération, et c’est avec une connaissance intime que le jeune homme peut scander: «Quand on crie, on meurt pas.»

L’épuisement guette néanmoins. Village bouclé, fouilles, arrestations: la nuit ne protège plus, même si elle accueille encore des tentatives de reconstruire à la sauvette, des gestes d’hospitalité ou des conversations entre Basel et Yuval. L’amitié n’empêche pas les reproches larvés et le silence – la différence de conditions est trop profonde, trop inacceptable. Plusieurs plans, pris depuis l’intérieur d’une grotte où les villageois ont trouvé refuge, laissent apparaître les silhouettes cernées d’obscurité, manière de figurer le rétrécissement de l’espace et de l’avenir. Rattrapés par l’histoire, les réalisateurs ajoutent un épilogue sanglant, des colons venant se venger des attaques organisées par le Hamas le 7 octobre 2023. Alors que No Other Land avait réussi à maintenir un souffle ample, alternant l’urgence et la détente, la colère et l’humour, il s’achève sèchement, comme pris à la gorge. 

Raphaël Nieuwjaer

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