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Susan Seidelman, material girl

© Cahiers du Cinéma

Susan Seidelman, material girl

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Publié le 12 mars 2025 par Alice Leroy

PORTRAIT. Le mythique Recherche Susan désespérément (1985) reste l’arbre qui cache la forêt de la belle filmographie de Susan Seidelman, à l’honneur au festival de la Cinémathèque française à Paris, du 5 au 9 mars.

Comme beaucoup de ses personnages, Susan Seidelman a préféré fuir le destin morose que lui promettait la vie pavillonnaire dans la banlieue de Philadelphie où elle est née. Il faut dire que la contre-culture des années 1960 n’était pas vraiment arrivée jusque-là. Adolescente, Seidelman se voit devenir créatrice de mode tout en rêvant à d’autres vies sur les écrans de cinéma. C’est là que la cueillent Ms. Magazine, la revue fondée par Gloria Steinem, et La Femme mystifiée de Betty Friedan : il y a donc une vie possible hors du mariage et du foyer. Abandonnant sa machine à coudre, la voilà partie pour New York début 1974. Elle intègre la Tisch School, dans une promotion qui compte cinq femmes pour trente hommes, « tous aspirant à devenir le prochain Godard ».

De la Nouvelle Vague, ce sont les actrices qu’elle préfère, Anna Karina, Stéphane Audran, Juliet Berto ou Bulle Ogier, parce que, confie-t-elle, « leurs rôles sont autrement plus troublants que ceux des Américaines à la même époque ». L’un de ses courts suit un tel personnage cherchant à échapper à l’ange du foyer. Sélectionné aux Student Academy Awards, il convainc Seidelman qu’elle est sur la bonne voie. Autoproduit avec un héritage destiné à financer son mariage, son premier long , Smithereens (1982), constitue un précieux document sur la scène no wave du Lower East Side où circulent cinéastes, musiciens et performeurs. Richard Hell, de Television et The Voidoids, y tient un rôle sur mesure, mais c’est Susan Berman, moue insolente d’enfant des rues, qui porte le film sur ses frêles épaules. Son personnage, raconte Seidelman, « doit beaucoup à la Cabiria de Fellini et au Doinel de Truffaut ». Comme Les 400 Coups, Smithereens se termine par un arrêt sur image sur le regard perdu de Berman, et le même plan reviendra quinze ans plus tard à la fin de l’épisode pilote de Sex and the City, véritable concentré des motifs de son œuvre.

Sélectionné à Cannes, Smithereens propulse sa réalisatrice vers l’industrie. « Un an à lire des projets sans intérêt, et puis Recherche Susan désespérément m’est arrivé comme s’il m’était directement adressé. L’histoire m’a rappelé Céline et Julie vont en bateau, que j’avais découvert quelques années plus tôt » – la scénariste Leora Barish, qui travaillera ensuite sur Golden Eighties d’Akerman, s’en est effectivement inspiré. Comme ce dernier et She-Devil, la diable (1989), le film débute dans un salon de coiffure où Rosanna Arquette s’applique à devenir une épouse idéale tout en rêvant d’une vie moins assommante. Madonna, dans son premier vrai rôle au cinéma, l’entraîne tel le lapin blanc de Lewis Caroll dans un New York plus fantaisiste et pop que punk. Seidelman sait prendre le pouls de son époque: en plein tournage, Madonna sort Like a Virgin et il faut embaucher des équipes de sécurité pour éloigner la foule. Mais le film produit par deux femmes (et pour cette raison contraint à ne pas dépasser un budget de 5 millions de dollars) compte aussi des seconds rôles de choix, comme John Turturro ou Laurie Metcalf, ainsi qu’un jeune directeur de la photographie dont c’est le premier film de studio, Ed Lachman, rencontré sur une piste de danse au festival de Telluride. « Si j’ai préféré Madonna à Melanie Griffith et Jamie Lee Curtis, c’est parce qu’elle était le personnage», confie Seidelman, qui lui montre ensuite les films de Barbara Stanwyck. Pour son film suivant, Et la femme créa l’homme parfait (1987), Rosalind Russell est l’un des modèles d’Ann Magnuson qui s’éprend d’un androïde dans une romance SF en avance sur son temps. Comme les héroïnes des comédies screwball, celles de Seidelman ont le verbe haut et s’appliquent à dynamiter l’image du bonheur domestique – parfois littéralement, comme Roseanne Barr qui fait sauter sa maison dans She-Devil. Dans cette comédie d’émancipation, deux femmes se trouvent à nouveau aux antipodes l’une de l’autre – Meryl Streep en écrivaine à succès de romans soft-porn, et Barr en ménagère incapable trompée par son navet de mari qui lui préfère les charmes de la première. Seidelman a l’intelligence d’en faire des alliées; à la fin, Barr est devenue une femme indépendante et Streep une meilleure écrivaine. Leur trajet vaut aussi pour la cinéaste qui résume ainsi son parcours: «Beaucoup d’entêtement, de l’indépendance et un peu de chance

Alice Leroy

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