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Persistances à Tokyo

© Cahiers du Cinéma
22 décembre 2024 à 10:00

Persistances à Tokyo

FESTIVAL. Le 37e Festival international du film de Tokyo, qui s’est tenu du 28 octobre au 6 novembre dernier, a proposé un riche panorama du cinéma japonais contemporain, mais aussi classique.

Comme chaque année, le Tiff partage ses activités entre grosse machinerie promotionnelle, annonce en fanfare du prochain Godzilla, et sélection à échelle plus humaine. Dans la compétition officielle, She Taught Me Serendipity d’Akiko Oku, déjà autrice de Tempura en 2020, est une romance « augmentée » cherchant de nouveaux horizons dans la vie quotidienne à grand renfort de zooms brutaux et de travellings contrariés. Des efforts maquillant assez laborieusement la platitude du sujet.

Le jury lui aura préféré un autre film japonais, Teki Cometh de Daihachi Yoshida, qui a raflé les prix du Meilleur film, Meilleur réalisateur et Meilleur acteur. Présenté hors compétition, Route 29 confirme le talent de Yûsuke Morii (Kochira Amiko, 2022). Pour son second long métrage, le jeune réalisateur s’inspire d’un recueil du poète Nakao Taichi pour composer une histoire singulière trouvant sa direction le long d’une route reliant la ville de Tottori à celle de Himeji. Noriko (Haruka Ayase à contre-emploi) est une femme de ménage asociale travaillant à Tottori. Alors qu’elle s’occupe de l’entretien d’un hôpital, une patiente demande de lui ramener sa fille Haru (Kana Osawa), qui vit recluse en pleine forêt. Le chemin du retour sera jonché de rencontres insolites et d’événements inexplicables. Un road-movie sinueux, sans rire ni larmes, plaquant sur les paysages urbains et champêtres des surgissements surréalistes. Morii atteint un équilibre rare et subtil entre l’absurdité du rêve et la cruauté de la réalité (nous savons Noriko atteinte d’une tumeur au cerveau sans que cela nous soit rappelé) et se confirme comme un réalisateur qui va sans doute compter dans les années à venir. Dans la sélection Nippon Cinema Now, ces suspects habituels des festivals qui sont les films naturalistes à tendance sociale ont répondu présents : travailleurs chinois en attente de renouvellement de visa (Ashes de Yang Liping), rituel de la pêche au saumon chez la communauté aïnu (Ainu Puri de Takashi Fukunaga) ou coréenne de troisième génération se souvenant du tremblement de terre de Kobe (The Harbor Lights de Mojiri Adachi). Dans The BearWait de Takino Hirohito, un petit garçon de 8 ans et sa tante scénariste essaient de percer les secrets familiaux dans l’ancienne demeure du grand-père, en lisière de forêt. Le film expérimental Underground raconterait presque la même chose – le passage du temps et la trace des événements – dans un tout autre style. Signé de la réalisatrice-plasticienne Kaori Oda, il reconstitue, avec les images pour guides, la mémoire fragmentée des gens d’Okinawa. Dans un genre différent, la sélection Asian Future a présenté la nouvelle génération du cinéma d’horreur japonais avec Missing Child Videotape de Ryota Kondo. Ici, un jeune adulte part en forêt avec l’espoir de comprendre ce qu’il est advenu de son petit frère dont il a, des années plus tôt, filmé les derniers instants au caméscope avant qu’il ne disparaisse.

Puisque les œuvres semblent travaillées par la persistance du passé, tournons-nous vers lui : une rétrospective du regretté Kijû Yoshida au National Film Archive et la projection de plusieurs films de Yasuzô Masumura, restaurés par la société Kadokawa, ont enrichi la programmation de cette année. Si les classiques de Masumura viennent tout juste de sortir en France chez Jokers Films, nous attendons toujours de pouvoir profiter des premiers Yoshida ( peut-être les plus beaux ) dans un coffret Blu-ray digne de ce nom.

Clément Rauger

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